Peut-on réellement congédier un employé pour absentéisme excessif?

En matière d’absentéisme, on explique souvent aux employeurs que lorsqu’un employé a un taux d’absentéisme excessif pendant une longue période de temps, qu’on l’a averti mais que la situation perdure, éventuellement on peut mettre fin à son emploi et ce même si les absences, en tout ou en partie, sont justifiées. Mais qu’est-ce qui est excessif? Combien de temps faut-il le tolérer avant de mettre fin à l’emploi? Combien de fois faut-il aviser l’employé? Toutes des questions auxquelles il est difficile de répondre avec certitude.

L’affaire Syndicat des Métallos, Section locale 7811 et C.I.F. Métal, D.T.E. 2011T-242 (T.A.), rendue en février dernier, nous en donne un autre exemple. Dans cette affaire, un employé avait accumulé, au cours de ses quelque 41 mois d’emploi, les taux d’absentéisme suivants :

– 12,11%;

– 59,8%;

– 50,8%;

– 35,8%.

Pour donner une idée, le taux d’absentéisme moyen dans cette entreprise était de moins de 4%. Évidemment, les taux d’absentéisme de l’employé ne découlaient pas uniquement d’absences injustifiées. On était plutôt face à des motifs tels : congé parental, absence pour accident du travail, absence pour motifs familiaux, absences pour maladie, etc. Se glissait aussi, en moyenne, une dizaine d’absences ou retards injustifiés par année de travail.

Que faire fasse à une telle situation? L’employeur pouvait opter pour l’approche administrative ou l’approche disciplinaire. L’approche administrative, que nous privilégions habituellement face à des absences justifiées, a l’avantage de réduire le pouvoir d’intervention de l’arbitre en le contraignant à confirmer ou annuler la sanction, sans pouvoir la réduire. Toutefois, certains arbitres ont des réticences à confirmer un congédiement en l’absence de suspensions, alléguant que les avis administratifs sont insuffisants pour faire réaliser à l’employé le sérieux de la situation.

À tout événement, l’employeur dans cette affaire avait choisi la discipline progressive : réprimande écrite, suspension de 1, 3 et 10 jours et ultimement, congédiement. Au passage, soulignons que l’arbitre qualifie la suspension de dix (10) jours de « suspension relativement courte » ajoutant que le plaignant aurait peut-être mieux compris qu’on était insatisfait de lui si on lui avait imposé une longue période de suspension avant le congédiement. En d’autres termes, une réprimande écrite et 3 suspensions en 9 mois n’étaient pas suffisant! Voilà qui devraient faire frémir les employeurs qui croient qu’une suspension de 2 semaines est l’ultime sanction avant le congédiement.

Suite à ces propos, l’arbitre annule le congédiement. Il souligne que lors de l’arbitrage, l’employé a indiqué qu’il était rétabli à 100%, qu’il avait réglé tous ses problèmes personnels et qu’il était en parfait contrôle de sa vie. Le contraire nous aurait surpris! À tout événement, considérant ces différents éléments, l’arbitre indique que le salarié « ne doit pas être pénalisé parce qu’il a utilisé des congés familiaux, parentaux, qu’il a reçu des prestations de CSST pour de longues périodes et qu’il a été en maladie autorisée de nombreuses journées ». Il décide donc de lui donner une seconde chance.

L’arbitre se dit toutefois « incapable de pénaliser la compagnie vu les nombreuses absences » de l’employé. Il ordonne donc la réintégration de l’employé mais sans remboursement pour le salaire perdu et sans accumulation d’ancienneté. Il y va également de plusieurs « ordonnances » :

– À l’avenir, lorsque le salarié devra s’absenter « il devra fournir, à l’avance un motif de son absence et s’il est absent pour maladie, il devra fournir un rapport médical détaillé faisant état de sa maladie »;

– S’il est absent pour des raisons familiales, il devra « s’organiser pour régler ses problèmes familiaux à l’extérieur de ses horaires réguliers de travail »;

– Si le salarié « recommence à être absent, qu’il refuse de communiquer avec son employeur, s’il donne des rapports médicaux incomplets, la compagnie sera justifiée d’intervenir rapidement et de mettre fin à l’emploi » du salarié.

On peut se demander si le salarié et le Syndicat se sentiront liés par ces « ordonnances », le pouvoir de l’arbitre de les émettre étant, à mon avis, douteux.

Étrangement, l’arbitre termine sa décision en indiquant qu’un « employeur peut congédier un salarié trop souvent absent même pour des raisons valables si le taux d’absentéisme est anormalement élevé ». Il ajoute qu’ « un tel congédiement peut être dramatique pour un travailleur mais si, pour différentes raisons, il n’est pas à son travail, il devient un employé sur lequel on ne peut pas se fier sur une base régulière et normale et le congédiement administratif devient alors possible ». Voilà une déclaration surprenante quand on constate que dans ce cas-ci, l’arbitre a décidé de réintégrer un salarié qui s’est absenté près de 40% du temps au cours de ses 41 mois d’emploi.

Cette décision n’est à mon avis que le reflet d’une situation inconfortable pour toutes les parties concernées, incluant les décideurs. D’une part, un employé a l’obligation de fournir une prestation de travail. D’autre part, le législateur, par le biais de plusieurs lois, interdit à un employeur d’exercer des mesures à l’endroit des travailleurs qui s’absentent pour divers motifs qui y sont prévus.

Il est grand temps que les tribunaux supérieurs, comme ils l’ont fait dans l’affaire Hydro-Québec ([2008] 2 R.C.S. 561) en matière d’accomodement, viennent clarifier les choses. Espérons que ce faisant, ils confirmeront qu’un contrat d’emploi implique une prestation de travail qui dépasse le stade facultatif ou occasionnel. Il s’agit là d’une question de respect envers tous les travailleurs qui se présentent au travail malgré les différents problèmes de la vie quotidienne qui les affligent sans pour autant affecter leur prestation de travail.