Couche-Tard et l’utilisation erronée de l’exemple Wal-Mart

Dans un article paru vendredi dans le Journal La Presse, on apprenait qu’en réaction à la fermeture du dépanneur Couche-Tard de la rue St-Denis, la CSN avait déposé un recours en vertu notamment des articles 12, 13 et 14 du Code du travail, s’appuyant sur la décision de la Cour suprême dans l’affaire du Wal-Mart de Jonquière. L’article ajoutait qu’en décembre 2009, la Cour suprême a statué que « la fermeture d’une entreprise pour des motifs anti-syndicaux est illégale » et « ouvre la porte à des indemnités à verser aux employés ayant perdu leur emploi ».

Une importante mise au point s’impose. Dans l’affaire Wal-Mart (Plourde c. Compagnie Wal-Mart du Canada Inc. [2009] 3 R.C.S. 465), suite à la fermeture du magasin de Jonquière, des salariés avaient déposé des plaintes en vertu de l’article 15 du Code, alléguant avoir été congédiés en raison d’activités syndicales. Rejetant les plaintes en question, la Cour énonce que, dans la mesure où l’employeur démontre la fermeture définitive d’un lieu de travail, le recours fondé sur les articles 15 à 17 ne peut être accueilli.

Pour en arriver à cette conclusion, et contrairement à ce que laisse entendre l’article de La Presse, la Cour suprême réitère le principe établi depuis plusieurs années à l’effet qu’aucune loi québécoise n’oblige un employeur à poursuivre ses activités et qu’un employeur peut fermer un établissement même pour des motifs condamnables socialement (i.e. des motifs anti-syndicaux). On est donc bien loin de ce qui est rapporté dans l’article de La Presse.

La Cour suprême énonce toutefois que la fermeture réelle et définitive d’un lieu de travail ne met pas pour autant l’employeur à l’abri de plaintes pour pratiques déloyales. Cet énoncé peut sembler accréditer la thèse présentée dans l’article de La Presse, mais il faut remettre ces commentaires dans leur contexte. Le paragraphe 25 de la décision résume bien ce contexte :

[25]. Les multiples recours que le syndicat et de nombreux salariés ont intentés à la suite de la fermeture du magasin de Jonquière s’appuient sur la prétention que Wal-Mart est un employeur qui a de longs antécédents de pratiques antisyndicales. Dans ce contexte, la fermeture du magasin de Jonquière viserait non seulement à punir les salariés de ce magasin qui ont choisi de se faire représenter par un syndicat, mais également à servir une « mise en garde » aux autres salariés de Wal-Mart, dans la région du Saguenay et ailleurs dans son empire de la vente au détail, en leur indiquant qu’ils mettraient eux aussi leurs emplois en péril s’ils choisissaient de se faire représenter par un syndicat.

C’est ce qui fut appelé dans cette affaire le « chilling effect ». Ce contexte n’est pas sans importance puisque les articles 12 à 14 du Code interdisent non pas la fermeture d’un établissement, même pour des motifs anti-syndicaux, mais plutôt l’entrave à la formation ou aux activités d’un syndicat (article 12), l’intimidation ou la menace pour amener une personne à s’abstenir de devenir membre ou à cesser d’être membre d’un syndicat (article 13) ou de chercher par intimidation, menace ou autre à contraindre un salarié à s’abstenir ou à cesser d’exercer un droit qui lui résulte du Code (article 14).

Pas surprenant que, par le passé, les tribunaux aient sanctionné les employeurs qui menaçaient de fermer leur établissement et non ceux qui les fermaient définitivement. C’est également pourquoi la Cour suprême indiquait dans l’arrêt Wal-Mart que « l’application des articles 12 à 14 peut mettre en cause la question plus large du pourquoi de la fermeture et, plus particulièrement, celle de savoir si la fermeture découle d’une stratégie anti-syndicale ».

C’est donc dire que pour avoir gain de cause dans son recours, la CSN devra démontrer, par une preuve prépondérante et sans présomption, que la fermeture par Couche-tard de son dépanneur de la rue St-Denis non seulement découle de motifs anti-syndicaux mais également, qu’elle avait pour but d’entraver la syndicalisation de d’autres dépanneurs ou d’amener ses salariés à s’abstenir de devenir membres d’un syndicat ou à cesser de l’être par crainte de voir leur dépanneur fermer. Il s’agit là d’un fardeau de preuve important et beaucoup plus difficile à rencontrer que l’on pourrait le croire à la lecture de l’article de La Presse.