Le départ du juge poète

Vendredi dernier, la très honorable Beverly McLachlin, juge en chef de la Cour suprême du Canada, a annoncé que les juges Ian Binnie et Louise Charron prendraient leur retraite plus tard cette année.

L’annonce est ici et vous trouverez, ici et ici, des commentaires d’Yves Boisvert sur la question.

Nous aurons assurément le temps de revenir sur le sujet, mais je peux d’ores et déjà vous mentionner que le juge Binnie était, à mes yeux, l’un des atouts importants de la Cour suprême du Canada et qu’il sera assurément difficile de le remplacer (du moins à court terme).

En effet, non seulement le juge Binnie combinait-il un background de praticien (ce qui assure un désir, fréquemment exprimé par le juge Binnie, de garder les choses relativement simples) et beaucoup d’expérience sur le banc (ce qui augmente, habituellement, la prévisibilité des jugements – assurément l’une des qualités fondamentales de tout système juridique efficace), mais il savait parfois teinter ses jugements d’un je-ne-sais-quoi poétique capable de dynamiser une discussion, de pimenter un débat.

À titre d’exemple, en mars dernier, The Court (le blogue de Osgoode Hall sur la Cour suprême du Canada – toujours très intéressant) décernait son Golden Gavel pour le meilleur juge de l’année 2010 au juge Binnie et ce, principalement en raison de sa remarquable dissidence dans l’affaire R. c. Sinclair. Voici ce que Daniel Del Gobbo mentionnait au moment de décerner le prix :

And the Golden Gavel Goes to… BINNIE J.

Sometimes a strong dissent goes a long way, as did Binnie J.’s in R. v. Sinclair. His reasons pave the way for the future development of the right to counsel and were unquestionably a highlight of the jurisprudential year. This award is further supported by his judgment for the court in R. v. National Post and influential dissent in Tercon Contractors v. British Columbia (Transportation and Highways). We would also like to recognize that the Supreme Court’s second-most-senior member is one of its biggest personalities, unafraid to stand alone or write in an idiosyncratic style. With persuasive logic, dazzling rhetoric, and characteristic wit, Binnie J. charted his own path as 2010?s Justice of the Year.

Pour ma part, je m’en voudrais de ne pas rappeler le passage suivant des motifs concurrents du juge Binnie dans l’affaire Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, où, traitant des efforts des juges Bastarache et Lebel pour redéfinir l’analyse pragmatique et fonctionnelle et les normes de contrôle en matière de révision judiciaire, il disait:

The need for such a re-examination is widely recognized, but in the end my colleagues’ reasons for judgment do not deal with the “system as a whole”. They focus on administrative tribunals. In that context, they reduce the applicable standards of review from three to two (“correctness” and “reasonableness”), but retain the pragmatic and functional analysis, although now it is to be called the “standard of review analysis” (para. 63). A broader reappraisal is called for. Changing the name of the old pragmatic and functional test represents a limited advance, but as the poet says:

What’s in a name? that which we call a rose By any other name would smell as sweet;

(Romeo and Juliet, Act II, Scene ii)

Je pense qu’il faut savoir apprécier un juge de la Cour suprême qui parfume ses jugements de citations de Shakespeare…

Quant à la juge Charron, je voulais souligner que, même si la majorité des commentateurs (moi y compris) traite l’annonce de sa retraite dans l’ombre de celle du juge Binnie (ce qui est logique puisque, compte tenu de son court passage à la Cour, elle a eu moins d’occasions de faire sa marque et que, à tout événement, elle était moins flamboyante dans ses jugements que son collègue), elle était une juge d’exception qui s’est dévouée pendant près de 25 ans pour ses concitoyens. Je l’en remercie et je lui souhaite la meilleure des chances dans l’ensemble de ses projets futurs.

Reste maintenant à savoir qui sera choisi par le premier ministre afin de remplacer les juges Binnie et Charron. Avez-vous des suggestions?

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P.S. Pour ceux chez qui le départ des juges Binnie et Charron ravivent un intérêt pour la « personnalité » des décideurs de la Cour suprême du Canada, je me permets de suggérer la lecture de The Transformation of the Supreme Court of Canada: An Empirical Examination écrit en 2008 par Donald Songer. C’est un peu technique, mais c’est très intéressant (nous attendons d’ailleurs la sortie – annoncée pour le début 2012 – du prochain livre de monsieur Songer, Law, Ideology, and Collegiality: Judicial Behaviour in the Supreme Court of Canada). Du côté américain, je suggère toujours Supreme Conflict de Jan Crawford Greenburg, lequel est très bien écrit et particulièrement divertissant.