Amphithéâtre de Québec: immunité ou impunité?

Voilà la question qui me passe dans l’esprit quand je prend connaissance des propos du maire Régis Labeaume concernant son projet d’amphithéâtre à Québec et sa demande d’une loi spéciale pour mettre le contrat qu’il a conclu avec le conglomérat Quebecor à l’abri de toute contestation devant nos tribunaux.

Malgré mon interrogation, je dois admettre dans un premier temps qu’il n’est pas déplaisant de voir un personnage politique défendre avec passion un grand projet car la province de Québec manque cruellement de projets mobilisateurs pour stimuler notre économie et témoigner de notre savoir-faire.

Cela dit, sa façon de faire avancer un projet de cette importance me laisse pour le moins perplexe en tant que juriste.  En effet, puisqu’il semble avoir pris la décision d’accorder de gré à gré le(s) contrat(s) se rapportant à la gestion et l’exploitation de ce nouvel amphithéâtre plutôt que de procéder par appel d’offres, tel que semble requérir la loi (je tenterai d’élaborer davantage cet aspect dans un prochain blogue), il adopte une stratégie qui nous rappelle un peu la saga de la Société de Transport de Montréal.

On se souvient que cette dernière a voulu, en se basant sur l’exception du fournisseur unique, accorder de gré à gré un important contrat pour le métro de Montréal à Bombardier.  La Cour supérieure, dans le cadre d’une requête en jugement déclaratoire déposée par le géant français Alstom, avait alors statué sur l’illégalité de cette démarche en indiquant que la STM devait procéder par la voie d’un appel d’offres ce qui eut comme conséquence de retarder considérablement l’avancement de ce projet.

Pour défendre sa décision d’agir de la sorte, le maire Labeaume avance certains arguments rapportés dans nos différents médias qui soulèvent de sérieux doutes quant à la profondeur de son analyse dans ce dossier d’importance pour la grande capitale. Je me permet ici de réagir à ceux qui heurtent le plus ma logique de juriste.

Dans un premier temps, il invoque le fait qu’une négociation privée lui permet d’obtenir plus qu’un appel d’offres. Il affirme qu’il aurait obtenu 80% de moins que les 110 à 200 millions de dollars que Quebecor s’est engagée à payer sur une période de 25 ans. Cela reste hélas à prouver dans un contexte où la concurrence pour un tel projet s’annonçait plutôt vive.  Ayant pris la décision de ne pas mettre ce(s) contrat(s) aux «enchères» comme il se doit habituellement dans nos marchés publics il ne pourra jamais faire la preuve de ce qu’il dit.

Dans un second temps, il affirme que les grandes compagnies ne répondront pas à un appel d’offres pour ce genre de projet. Ouf! Pareille affirmation coupe le souffle. Étant impliqué dans l’univers des appels d’offres depuis plusieurs années je peux facilement témoigner du contraire.  De nombreuses grandes entreprises évoluant dans une grande variété de secteurs d’activités soumissionnent constamment pour obtenir des contrats de toutes sortes de nos gouvernements. L’appât du gain suffit amplement pour les attirer.

Un troisième argument qui vise plus particulièrement à réfuter l’avis juridique des avocats du MAMROT (Ministère des affaires municipales, des régions et de l’occupation du territoire), à l’effet que ce contrat aurait dû être fractionné et offert par appel d’offres pour assurer sa légalité, est d’affirmer que cette recommandation est si lointaine de la réalité d’affaires qu’elle sombre dans le ridicule. Qu’y a-t-il de ridicule dans le fait de vouloir assurer la légalité d’une telle entente? Je prend acte du fait que le MAMROT a, subséquemment à ce premier avis, émis un communiqué de presse pour nuancer sa position en indiquant que la démarche réelle de la ville de Québec peut s’apparenter à un appel à la concurrence qui respecterait l’esprit de la loi sans se prononcer définitivement sur le sujet.

L’ironie c’est que la réalité d’affaires que le maire Labeaume invoque pour réfuter le premier avis juridique du MAMROT l’oblige maintenant, suite à une demande de Quebecor de la rassurer quant à la légalité de son entente, à subir, afin de fournir une telle assurance à son co-contractant, l’odieux sur la place publique d’un appel au secours auprès du Parlement pour passer une loi spéciale dont il n’aurait pas besoin s’il avait pris soin de respecter intégralement les règles du jeu qui s’imposent à l’égard de tels contrats. En l’absence d’une telle loi, impossible de fournir une telle assurance à Quebecor puisque la sanction d’accorder un contrat, hormis les exceptions permises par la loi, sans respecter la procédure d’appel d’offres, est la nullité absolue de celui-ci.

Tout en admettant ne pas avoir une connaissance intime de ce dossier, la première impression qui se dégage de ce genre d’argumentaire n’est pas très bonne. J’espère que le maire Labeaume saura rehausser celui-ci sur la place publique pour démontrer les mérites de sa démarche et ainsi justifier le passe-droit qu’il recherche de nos parlementaires.

À la lumière de ce qui précède, faut-il que nos députés accordent l’immunité à une telle façon d’agir ou doivent-ils plutôt condamner l’impunité du maire Labeaume face aux règles du jeu en lui refusant cette loi?