Utilisation de mots clefs de recherche; où se trouve la ligne pour les avocats?

Aux États-Unis, la firme d’avocats Cannon & Dunphy a trouvé un moyen pour le moins inusité de susciter plus d’achalandage sur son site web; elle a acheté les noms Habush et Rottier de son compétiteur, Habush, Habush & Rottier, afin de s’en servir comme mots clefs de recherche pour son site web.

Selon le journal du American Bar Association (ABA), le juge Charles Kahn, Jr. du Milwaukee County Circuit Court a décidé que l’utilisation par la firme Cannon & Dunphy des noms de son compétiteur en était une commercialement raisonnable. Toujours selon le ABA Journal, le juge aurait indiqué qu’il n’y a aucune interdiction contre une telle utilisation. Il a par ailleurs mentionné qu’aucun corps législatif, tribunal ou instance réglementaire n’avait encore conclu que le comportement en litige dans la cause devant lui était trompeur ou pouvait induire en erreur et donc être inapproprié. On peut malgré tout se poser la question à savoir si une telle utilisation est éthique ou non.

Dans une cause similaire, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a récemment statué sur l’utilisation du nom d’un compétiteur comme mot clef sur des moteurs de recherche tels Google ou Yahoo. Dans cette affaire, Private Career Training Institutions Agency (un corps réglementaire de la Colombie-Britannique créé par le Private Career Training Institutions Act, S.B.C. 2003 c.79) a demandé une injonction afin d’empêcher Vancouver Career College (Burnaby) Inc. d’utiliser le nom de ses compétiteurs comme mots clefs de recherche pour son site internet. L’injonction se fondait sur l’article 29 des règlements de l’agence qui stipule :

“An institution must not engage in advertising or make a representation that is false, deceptive or misleading. Deceptive advertising includes but is not limited to an oral, written, internet, visual descriptive or other representation that has the capability, tendency or affect of deceiving or misleading a consumer.”

Le juge de première instance a refusé l’octroi de l’injonction en concluant que l’agence ne l’avait pas convaincu que l’utilisation par la défenderesse du nom de ses compétiteurs induisait le public en erreur ou était susceptible de le faire. Selon le juge de première instance, ceci pouvait s’apparenter au placement du nom d’une entreprise à côté de celui d’un compétiteur dans les pages jaunes.

La Cour d’appel, comme le juge de première instance, a conclu que le public n’a pas été induit en erreur par l’utilisation par l’appelante du nom de ses compétiteurs comme mots clefs et a rejeté l’appel.

Il est intéressant de noter que des mésententes en rapport avec ce type d’activité a donné lieu au bulletin d’interprétation par l’agence de son règlement 29(1) dans lequel elle indique que l’utilisation par une institution des marques de commerce, logos ou noms d’affaires d’une autre institution dans ses Meta Tags, AdWords, AdCenter Key Words ou autre medium similaire pour fins de publicité constitue une activité « deceptive or misleading » au sens du règlement 29(1) et est donc prohibé.

Sans vouloir m’aventurer trop loin sur le caractère « raisonnablement commercial » d’un tel geste, je me suis posé la question à savoir si le Code de déontologie des avocats pouvait contenir un texte qui prohiberait clairement ce type de comportement.

Or, le législateur n’a pas prohibé de façon spécifique les gestes attaqués dans les décisions susmentionnées mais énonce toute de même, dans le Code de déontologie des avocats, des principes qui devront guider notre conduite.

Ainsi, l’article 2.00.01 stipule que « l’avocat doit agir avec dignité, intégrité, honneur, respect, modération et courtoisie » (soulignement de l’auteur).

Quant aux restrictions et obligations relatives à la publicité, on peut lire à l’article 5.01 que « l’avocat ne peut faire, ou permettre que soit faite, par affirmation, comportement, omission ou quelqu’autre moyen, une représentation fausse ou trompeuse » (soulignement de l’auteur).

Pour ma part, si le jugement de la Cour d’appel de la C.-B. dans l’affaire Private Career peut s’interpréter comme un appui à l’argument à l’effet qu’utiliser les noms de ses compétiteurs comme mots clefs n’est pas une représentation « fausse ou trompeuse », cela pourrait constituer pour certains, un manque manifeste de courtoisie professionnelle.