Résolution des Différends. La prise de décision et l’affaire Turcotte

Après l’enquête, l’examen des pistes de solution possibles et la détermination du choix de pistes praticables, on passe à l’étape de la prise de décision, l’équivalent du jugement en mode de débat par le juge de l’instance. En mode de dialogue, les décideurs, les juges, sont les parties elles-mêmes. Il faut qu’elles soient unanimes. En cas de dissidence, on réexamine la situation jusqu’à l’obtention de l’unanimité, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’il ait consensus.

L’affaire Turcotte a bouleversé et continue de fasciner les observateurs et surtout le grand public. On peut s’interroger si la communauté dans un premier temps a fait défaut d’appuyer la famille au moment où elle en avait le plus besoin et les enfants ont écopé de leur vie. Le monde autour de la famille s’est effondré comme c’est souvent le cas dans de telles circonstances. Toutefois, la communauté représentée par le jury dans un deuxième temps est venue à la rescousse de la famille. La mère a calmé le public.

Bien sûr, c’était un débat tranché par 11 représentants de la communauté, le douzième juré ayant été écarté faute d’impartialité. C’était une décision par le jury de « non responsabilité criminelle » qui laisse la porte ouverte à d’autres pistes de solution que l’incarcération parmi lesquelles il est encore possible que chacun trouve sa part de responsabilité dans l’affaire. Pour l’instant, il n’y a pas de responsables.

Faut-il qu’il y en ait? Il semble que non. Toutefois, il faut passer du pouvoir à la responsabilité afin d’accéder aux remèdes découlant de la coopération. La notion de responsabilité et de responsabilisation est en quelque sorte, il me semble, liée à la notion de liberté et de choix, l’idée de base étant que tout n’est pas prédéterminé et que les événements malheureux ou pas ne sont pas toujours des accidents, mais qu’on peut ajouter son grain de sel au destin et s’échapper de la prison du passé par la maîtrise de ses passions.

Même s’ils sont encore très présents dans notre mémoire, on peut dire à coup sûr que les enfants n’avaient aucune part de responsabilité. Il semble qu’un tribunal d’experts va décider si oui or non le père, l’agresseur, risque de récidiver et constitue une menace pour la communauté. Si oui, l’agresseur pourrait être institutionnalisé. Sinon, l’agresseur pourrait et même devrait être libéré. Le jury, limité à quatre pistes possibles, ne jouera qu’un rôle indirect dans la suite des choses. Cependant, ce rôle indirect, celui d’avoir rendu un tel verdict, devrait faciliter énormément la tâche du tribunal.

Devant la situation, beaucoup réagissent par instinct ou par intuition et trouvent que justice n’a pas été rendue. La justice s’occupe de la distribution des gains, des pertes et des risques parmi les intéressés, dont le public. Seul un dialogue structuré a le potentiel de rendre justice à partir de ce point, le tout dans le plus grand respect pour le jury. Dommage que le jury n’ait pas eu la possibilité de concevoir d’autres pistes afin que justice soit rendue. Toutefois, il est encore possible de structurer un dialogue à partir des éléments de la justice pour les fins de la situation.

Il y aura certes des opportunités de le faire. Le tribunal d’experts peut le faire en conformité avec les règles de l’art en vertu desquelles l’individu est perçu comme membre d’une famille, elle-même une composante de la société, tous des systèmes interactifs non linéaires, parfois décrits comme des cercles, des sphères, même des univers. Le commandement d’aimer son prochain rompt avec la tradition de se limiter aux échanges entre des individus (« la loi du talion ») ou aux échanges à l’intérieur de la famille ou la tribu.

Si jamais la décision prise par le jury était portée en appel, ce serait une autre occasion pour une cour de justice de devenir un promoteur réalisateur d’un dialogue structuré. Le Procureur général, le Bâtonnier du Québec, les médias sont d’autres promoteurs réalisateurs possibles. Plutôt que de contester ou de contredire la décision prise par le jury, on a le choix de réfléchir et voir comment on pourrait la compléter et lui donner son plein effet. Sinon, il y a risque que justice ne soit pas rendue ou perçue comme ne l’étant pas, si les deux seuls choix sont l’institutionnalisation ou la libération de l’agresseur.