La vue du Château Frontenac (Partie 1) : La Papetière White Birch

Dans mon blogue précédent, je vous indiquais que de la Terrasse Dufferin devant le Château Frontenac, on pouvait voir le chantier maritime Davie dont la restructuration sous la LACC est passée par une vente d’actifs. L’autre vue du Château Frontenac est la fort odorante et visible usine de papier journal de White Birch, ou Bouleau Blanc, autrefois propriété de la célèbre Enron et connue comme Stadacona Paper, auparavant connue comme Anglo Pulp and Paper. L’usine est située aux abords de la rivière St-Charles, près du bassin Louise.

« Bouleau noir » comme disait le bel Alexis dans Un homme et son péché. C’est en effet un boulot noir que de tenter de comprendre ce qui se passe dans la restructuration de White Birch derrière le jeu des ombres chinoises de l’insolvabilité.

White Birch opère trois usines au Québec et une aux Etats-Unis. Elle est la propriété de la famille Brant qui possède aussi d’autres usines aux États-Unis dans une autre entité juridique. En février 2010, White Birch se prévaut de la LACC et aussi du chapitre 11 du US Bankruptcy Code. Alors que le marché du papier journal se portait bien, White Birch avait émis des centaines de millions de dollars d’obligations garanties. Or, la rentabilité et la valeur des usines de papier journal sont tombées en flèche et ont causé des insolvabilités retentissantes dont Abitibi Bowater, Fraser Paper, Catalyst Paper, Grand Forest Products, Smurfit Stone, etc.  White Birch se classe parmi les 5 plus grands dossiers au Canada en 2010 en valeur du passif. Et dire que les confrères du Royaume Labeaume prédisaient en 1992 ne plus avoir de dossiers de LACC quand le seuil d’admissibilité a été rehaussé à 5 Millions de dollars.

Des fonds américains spécialisés semblent avoir transigé sur les obligations de White Birch dont certaines ont changé de mains. Dans un contexte économique difficile, White Birch fait face à un déficit actuariel de ses fonds de pension de plus de 150 M$, une goutte d’eau comparée aux 1,5 milliards$ de déficit auquel faisait face Abitibi Bowater. Éventuellement, il est devenu apparent que les actifs de White Birch devraient être vendus puisque les détenteurs d’obligations n’agissaient pas de concert. En effet, seuls certains d’entre eux avaient accepté de fournir le financement intérimaire prioritaire (DIP) qui a permis la continuité des opérations. Parmi ceux qui ont consenti le DIP, il semble que seulement certains d’entre eux étaient intéressés à soumettre une offre pour les actifs.

Le dossier est piloté par l’honorable juge Robert Mongeon de la Cour supérieure qui a accepté la mise en place de la méthode américaine de vente connue sous le nom de « Stalking-Horse ». Dans ce processus, des enchérisseurs sont préqualifiés et après diverses négociations, un enchérisseur est retenu comme « stalking horse ». Il procède à une vérification diligente détaillée et négocie une offre d’achat acceptable pour la compagnie. Une fois le montant de cette offre connu, un montant est établi pour dédommager l’offrant si une offre supérieure devait être acceptée et couvrir ainsi ses frais de vérification diligente. L’offre retenue initialement couvrait à peine le prêt DIP. Les enchérisseurs qualifiés sont alors invités à participer à un encan qui a été tenu à New York. Un autre groupe de détenteurs d’obligations a participé à l’encan. À la fin de l’encan, c’est le groupe de l’offrant initial qui a été retenu. Ce groupe de Stalking Horse était en position d’augmenter ses enchères substantiellement puisque le produit de la vente lui revenait en grande partie à titre de créancier garanti détenteur d’obligations.

La transaction a été approuvée par le tribunal à l’automne 2010. Cependant, à ce jour, la transaction n’a toujours pas clôturé en raison de l’absence d’autorisation en vertu de la Loi sur l’investissement étranger, mais surtout en raison de l’absence d’entente avec les syndicats relativement au déficit actuariel du fonds de pension. C’est donc toujours la débitrice White Birch qui opère ses usines plus de onze mois après l’urgente requête pour vendre les actifs….

La nouvelle White Birch aura donc lavé 900M$ de passif et continuerait à opérer à plein régime toutes ses usines alors que les compétiteurs ont réduit leur production globale de papier journal de façon substantielle depuis dix ans. Les questions sont nombreuses dans le dossier White Birch, la transaction aura-t-elle lieu? Les anciens propriétaires sont-ils détenteurs de certaines des obligations et ont-ils une participation dans l’entité qui procède à l’acquisition? Est-ce que les syndicats doivent faire des concessions au niveau du fonds de pension alors que Abitibi Bowater a honoré ses obligations? Est-ce que certaines des usines devront être fermées? Entre-temps, Le Soleil rapporte que Brant Industries percevrait une commission ou frais de gestion de 3% sur les ventes de White Birch, soit quelques six millions de dollars (6 000 000$) pour les trois premiers mois de 2011 seulement. Ceci a depuis été confirmé par le contrôleur dans un de ses rapports au tribunal. Seriez-vous pressés de régler avec les syndicats dans ces conditions?