Indigné par les fiducies réputées

Êtes-vous du genre, tout à fait indigné, à avoir jeté aux poubelles votre Petit Livre rouge de Mao quand le mur de Berlin est tombé?

Alors, un arrêt récent de la Cour d’appel du Québec pourrait vous inciter à faire subir le même sort au « Gros Livre rouge » (Code civil du Québec) de mon collègue Gil Rémillard . En effet, l’arrêt Banque Nationale du Canada c. Agence du Revenu du Québec, 2011 QCCA 1943 , rendu le 21 octobre 2011, semble relever de la science-fiction et nous amener dans une réalité alternative . C’est pourtant la dure réalité des fiducies réputées. Dans cette réalité, les jugements de la Cour supérieure rendus sur une requête en délaissement dans le cadre de l’exercice du recours hypothécaire de prise en paiement n’ont aucun effet et peuvent être ignorés, sans qu’il soit nécessaire de les attaquer par voie d’appel ou de rétractation. Les biens déclarés par jugement comme appartenant à la banque demeurent ou deviennent des biens de l’État, sans aucune procédure judiciaire ou avis d’expropriation.

Je m’étais gardé une petite gêne à l’égard de l’application de cette fiducie réputée dans un cas de prise en paiement confirmée par jugement dans divers textes récents . Toutefois, avec ce récent jugement de la Cour d’appel, les tentacules du fisc semblent avoir un accès illimité aux poches profondes des institutions financières.

Les fiducies réputées ont été créées par le législateur pour protéger principalement les sommes qui sont retenues sur le salaire des employés et qui doivent être remises aux autorités fiscales. Pour protéger ce qui est la principale source de revenus des gouvernements au Canada, le législateur a édicté des règles extraordinaires qui supplantent toutes les règles de justice, de procédure, de droit substantif et de priorité qui s’appliquent autrement au commun des mortels. Ainsi le législateur fédéral et le législateur provincial ont édicté dans une loi une réalité qui est réputée exister, même si elle n’existe pas. Les biens du débiteur sont réputés être détenus par leur propriétaire en fiducie pour la Couronne et appartenir à cette dernière jusqu’à hauteur des montants de remise de retenues à la source qui n’ont pas été faites. Donc, bien que les biens de la fiducie ne soient pas identifiés ou identifiables, ne soient pas tenus séparément, qu’il n’y ait aucune intention du débiteur fiscal de créer une fiducie, cette réalité existe par l’effet de la loi.

L’Honorable Juge Pierre J. Dalphond de la Cour d’appel et ses collègues n’ont pas eu d’autre choix que d’appliquer les arrêts de la Cour suprême du Canada et de la Cour d’appel fédérale rendus en la matière.

Ainsi, l’arrêt Banque Nationale du Canada c. Agence du Revenu du Québec se situe dans le contexte de la faillite de Canouxa Import Export Company Ltd. où la banque avait obtenu un jugement de prise en paiement en vertu de son hypothèque sur les actifs de l’entreprise. Dans le cadre du même jugement qui la déclarait propriétaire des biens hypothéqués, la Banque Nationale cédait ses biens à un individu (qui était également sa caution) en contrepartie, d’une part, de la vente des biens et, d’autre part, de la libération du cautionnement pour l’excédent du prix payé sur la valeur des biens.

Le fisc a fait preuve d’un immobilisme incroyable mais malheureusement très fréquent. Les sommes non remises de retenues à la source couvraient la période de 1995 à 1999. La faillite de l’entreprise est survenue le 2 novembre 1999 et le jugement de la Cour supérieure accordant la prise en paiement a été rendu le 6 juin 2000. Ce n’est qu’en mai 2001 que Revenu Québec a produit une preuve de réclamation de biens au syndic de faillite pour 21 560 $. Revenu Québec poursuit la BNC trois ans moins un jour après le jugement de la Cour supérieure, soit le 5 juin 2003. En novembre 2008, Revenu Québec tente d’augmenter sa réclamation à 32 705 $. La BNC étant devenue propriétaire des biens, elle est trouvée responsable envers Revenu Québec puisque la preuve ne permet pas d’établir quelle portion du règlement provient de la caution et quelle portion provient réellement de la vente des actifs.  Cependant, une évaluation au dossier démontre que les actifs valaient au moins le montant de la réclamation initiale de Revenu Québec. Compte tenu des délais inexpliqués de la part de Revenu Québec, la Cour d’appel a réduit la condamnation de 37 000 $ à 21 560 $, soit le montant de la réclamation initiale.

La Cour d’appel n’avait pas d’autre choix que de suivre les précédents de la Cour suprême du Canada en la matière ainsi que ceux de la Cour d’appel fédérale. Cependant, on peut s’indigner de voir qu’un jugement du tribunal écarte ainsi un autre jugement sans qu’il fasse l’objet d’une rétractation ou d’un appel et alors qu’il est impossible de les réconcilier. En effet, lorsqu’un juge vous déclare propriétaire d’un bien, le « véritable propriétaire » doit attaquer le jugement pour se faire reconnaître des droits sur les mêmes biens. On peut s’indigner de voir que des sûretés occultes non publiées en faveur du fisc viennent ainsi prendre préséance sur les hypothèques publiées et sur un jugement final et définitif.

J’invite donc ceux qui sont, comme moi, indignés à aller planter leur tente près de la mienne au Square Victoria, car il y a très peu de chances que le législateur recule sur les droits extraordinaires qui sont conférés au fisc pour le recouvrement des retenues à la source sur les salaires.