En droit de la concurrence, la Cour d’appel ouvre la porte aux recours collectifs intentés par des acheteurs indirects

Le droit de la concurrence est un champs fertile pour les recours collectifs. Cela est particulièrement vrai dans le cas de complots entre des entreprises concurrentes pour fixer les prix ou se partager des territoires. Ainsi, le risque financier auquel s’expose une entreprise qui prend part à un tel complot est grand. Ce risque est aujourd’hui encore plus grand, du moins au Québec, suite à la décision de la Cour d’appel dans l’affaire Option Consommateurs c. Infineon Technologies, a.g. (2011 QCCS 2116).

Les tribunaux nord-américains avaient traditionnellement adopté la position que seuls les acheteurs directs d’un bien (i.e. ceux qui s’étaient procurés le bien directement de l’entreprise qui avait participé au complot) pouvaient formuler une réclamation civile en dommages. En effet, ils étaient d’opinion que les acheteurs indirects ou secondaires ne pouvaient pas démontrer que l’inflation artificielle du prix payé par les acheteurs directs entraînait également une hausse du prix qu’ils payaient lors de leur achat du même bien. Ainsi, l’on considérait que le complot affectait la marge bénéficiaire de l’acheteur direct au moment de la revente, mais pas le prix payé par l’acheteur indirect.

Cette position était basée sur la décision de 1968 de la Cour suprême américaine dans Hanover Shoe Inc. v. United Shoe Machinery Corp. (392 U.S. 481). Dans celle-ci, la Cour avait en était venue à la conclusion que seuls les acheteurs directs pouvaient démontrer de manière prépondérante l’existence d’un préjudice. Plusieurs décisions subséquentes rendues par les tribunaux nord-américains avaient également souligné la quasi-impossibilité pour les acheteurs indirects de faire la preuve d’un tel préjudice, dont la décision de la Cour suprême du Canada dans Colombie-Britannique c. Canadian Forest Products Ltd. ([2004] 2 R.C.S. 74).

Par voie de conséquence, l’on tenait pour acquis qu’on ne pouvait pas, par voie d’un recours collectif, instituer des procédures judiciaires simultanément au nom des acheteurs directs et indirects en cas de complot. À titre d’exemple, la Cour d’appel de Colombie-Britannique refusait de certifier un recours collectif proposé au nom d’acheteurs indirects dans Sun-Rype Products Ltd. v. Archer Daniels Midland Co. (2011 BCCA 187) pour la raison énoncée ci-dessus.

Pas de grande surprise donc quand l’Honorable juge Richard Mongeau refusa, en 2008, d’autoriser au Québec un recours collectif où le groupe proposé alliait acheteurs directs et indirects dans Option Consommateurs c. Infineon Technologies, a.g. (2008 QCCS 2781). Dans cette affaire, la requérante et la membre désignée alléguaient complot de la part des compagnies intimées pour restreindre la concurrence dans la vente de DRAM (mémoire dynamique à accès direct) à travers le monde et, par le fait même, un gonflement artificiel du prix payé par les acheteurs directs et indirects du bien. Elles appuyaient ces allégations en produisant copie des plaidoyers de culpabilité des intimées aux États-Unis.

Dans sa décision (citée au premier paragraphe du présent billet), la Cour d’appel renverse ce jugement et autorise l’instutition du recours collectif. L’Honorable juge Nicholas Kasirer, écrivant au nom d’un banc unanime, est d’opinion qu’il est erroné de conclure que la difficulté de faire la preuve d’un préjudice entraîne l’inexistence d’un recours valable au nom des acheteurs indirects. Selon la Cour, aussi difficile soit-il pour les acheteurs indirects de démontrer et quantifier leur préjudice, la tâche n’est pas impossible et on doit leur donner la chance de le faire dans un procès au fond.

Il s’agit là d’un développement important dans le domaine des recours collectifs au Québec. En effet, plusieurs produits et composantes sont rarement achetés directement du manufacturier par les consommateurs. Le DRAM en est un exemple parfait, celui-ci étant presque toujours acquis par les consommateurs à titre de composante d’un produit électronique fini. Cela faisait en sorte que les recours collectifs intentés en leur nom en cas de complot entre les manufacturiers étaient monnaie rare. Parions que cette réalité est à même de changer suite au jugement de la Cour d’appel et que l’on verra beaucoup plus de tels recours au Québec dans un avenir rapproché.