L’importance de prévoir une clause de modification dans les transactions qui règlent les recours collectifs

Je parle par expérience: la rédaction d’une entente de règlement par laquelle les parties à un recours collectif mettent fin au litige n’est pas une mince affaire. En effet, l’on règle simultanément les réclamations de centaines, sinon de milliers, de personnes dont les circonstances sont rarement identiques. De plus, l’on met souvent en place des processus de compensation qui peuvent demeurer en vigueur pendant plusieurs années. L’on tente alors véritablement de prédire l’avenir. C’est pourquoi de telles ententes de règlement contiennent idéalement un mécanisme de modification lorsque surviennent certains évènements imprévus. L’absence d’un tel mécanisme peut parfois avoir des conséquences importantes comme l’illustre la récente décision de la Cour d’appel dans Coopérative d’habitation Village Cloverdale c. Société canadienne d’hypothèque et de logement (2012 QCCA 57).

La trame factuelle de l’affaire est complexe, mais l’on peut en résumer les points saillants comme suit. Parc Cloverdale est un ensemble immobilier qui couvre 724 logements. Cet ensemble est éligible à des subventions accordées aux termes de la Loi nationale sur l’habitation, lesquelles sont disponibles aux locataires d’immeubles appartenant à des sociétés sans but lucratif. La vente de l’ensemble immobilier à un promoteur privé au cours des années 80 met en péril ces subventions et entraîne le dépôt d’un recours collectif par le regroupement des locataires pour obtenir l’annulation de la vente, des dommages-intérêts et le rétablissement des subventions fédérales. Après plusieurs années devant les tribunaux, les parties règlent leur différend en 1998. L’entente qui consacre les modalités de la transaction est approuvée par la Cour comme il se doit en matière de recours collectif (art. 1025 C.p.c.). Elle a donc l’autorité de la chose jugée et est pleinement exécutoire (art. 2633 C.c.Q).

L’entente de règlement prévoit le paiement par la partie défenderesse de certains subventions et de l’hypothèque de premier rang sur l’ensemble immobilier jusqu’en 2025. Puisque les subventions reçues de la Société Canadienne d’Hypothèque et de Logement se termineront en 2015, l’entente prévoit également le placement du surplus et l’utilisation de ces placements (et leurs revenus) pour faire les paiements de 2016 à 2025. Malheureusement, l’appelante n’a pas réussi à accumuler les fonds nécessaires jusqu’à maintenant. Elle propose donc de modifier l’entente pour subventionner 20 % au lieu de 37 % des logements locatifs d’ici 2015 et de conserver dans ses coffres l’économie ainsi réalisée pour s’assurer d’être en mesure de poursuivre son aide aux locataires pour la période 2016-2025. Cette modification est refusée par l’intimée, d’où le fait que l’appelante s’adresse aux tribunaux.

Tant la Cour supérieure que la Cour d’appel déboutent l’appelante. En effet, la transaction ayant l’autorité de la chose jugée, ne soulevant pas de difficulté d’interprétation et ne contenant aucun mécanisme d’amendement ou de modification, les tribunaux ne peuvent intervenir nonobstant « le caractère sérieux et louable de son projet » . La Cour d’appel commente particulièrement ce dernier aspect (i.e. l’absence de mécanisme d’amendement ou de modification):

[28] Il n’y a, en l’espèce, aucune assise juridique qui permettrait de modifier les contrats des parties, parce que c’est bien ce dont il s’agit. En fait, on demande à la SCHL de renoncer à un remboursement auquel elle a droit. Ni la loi ni les contrats ne le prévoient.

[29] Les parties n’ont pas prévu des mécanismes d’ajustement ou de modification ou encore d’obligation pour elles de renégocier en partie ou en totalité les contrats. […]

Comme je le mentionnais en introduction, cette décision met véritablement en relief l’importance des mécanismes de modification contractuels. En leur absence, les tribunaux québécois ne pourront tout simplement pas intervenir, et ce, peu importe le mérite des modifications proposées. Ainsi, dès qu’une entente de règlement prévoit ou pose des assises sur des évènements futurs incertains, il est primordial de s’assurer qu’elle peut être modifiée afin de protéger les droits des parties et permettre les ajustements nécessaires.