Les attentes légitimes

Les attentes légitimes jouent un rôle important dans la résolution des différends hors de cour au niveau de l’efficacité.  La résolution des différends crée des attentes légitimes souvent encadrées par un protocole visant la coopération. Il faut mettre en vigueur les attentes des parties. Ce mécanisme ne semble pas être bien connu au Québec, probablement parce que sa source vient du common law. Pourtant, ce cousin de la fin de non-recevoir du droit civil québécois fait partie de la loi du Québec.

Rappelons brièvement l’essentiel de la doctrine et de la jurisprudence.

Les promesses sont à la base des attentes légitimes. Est-ce qu’on peut affirmer et mettre en vigueur des promesses en l’absence d’une considération? C’est le cas dans un protocole de coopération où chacune des parties promet d’accomplir certaines actions, l’une après l’autre et telles que prévues au protocole, pour atteindre le but de réaliser des gains pour chacune des parties, mais il n’y a pas nécessairement une considération pour chaque action. Il ne s’agit pas d’un marché négocié mais d’un arrangement pour arriver à certains buts.

Le célèbre juge Denning en 1947 dans l’affaire High Trees a répondu dans l’affirmative à la question. Si l’autre se fie à une promesse et agit de bonne foi sur la foi de la promesse et s’engage à son détriment, celui qui a fait la promesse est stoppé et ne peut invoquer l’absence de considération comme défense et le Tribunal peut émettre les ordonnances nécessaires pour que la promesse soit respectée intégralement. Ce jugement fait partie d’une nouvelle ère d’équité après la Deuxième Guerre mondiale.

En 1978, la doctrine High Trees fut appliquée au Québec par le juge en chef du Québec, l’honorable Jules Deschênes, dans l’affaire Le Bureau des écoles protestantes du Grand Montréal c. Le Procureur général de la province de Québec représentant Sa Majesté du chef de la province – et les mis-en-cause – Le Conseil scolaire de l’Île de Montréal, Le Procureur général de la Province du Québec représentant le ministre de l’Éducation, le Conseil du trésor, le lieutenant-gouverneur en conseil et Jean-Pierre Proulx en sa qualité de personne désignée par le ministre de l’Éducation en vertu de l’article 75 de la Charte de la langue française, dossier de la Cour supérieure numéro 500-05-012002-786.

Le Bureau avait pris des engagements sur la foi de la promesse des prévisions budgétaires du Gouvernement, après quoi le Gouvernement est revenu sur sa promesse pour modifier des modalités. La Cour a conclu comme suit sur cet aspect de l’affaire :

« La Cour ADJUGEANT sur les sept paragraphes des conclusions de la requête amendée du Bureau requérant : ACCUEILLE le paragraphe un et DÉCLARE que la Couronne, du chef de la province de Québec, a l’obligation légale de verser une subvention d’équilibre budgétaire au Conseil scolaire de l’Île de Montréal pour le Bureau des Écoles protestantes du Grand Montréal suivant les termes et conditions des Règles budgétaires 1977/1978; »

Cette Déclaration n’a pas été portée en appel et constitue donc un jugement final. Par la suite, je dois vous dire qu’à son tour et pour sa plus grande déception le Bureau fut stoppé et ce, par la mauvaise foi des Commissaires qui avaient conseillé au grand public la désobéissance à la loi et par ces actions le Bureau s’était mis au-delà du pouvoir de la Cour de lui venir en aide. Toutefois, les attentes légitimes peuvent être sanctionnées par la Cour, à condition bien sûr que celui qui en fait la demande à la Cour soit de bonne foi.

Par conséquent, ce n’est pas uniquement un jugement après procès qui permet la mise en vigueur avec l’aide de l’État mais aussi toute résolution de différend de bonne foi, même si la résolution compte sur la coopération des parties, comme c’est souvent le cas en matière de nouvelle équité. Comme mesure de sécurité, les parties ou l’une d’elles peuvent demander à la Cour l’homologation du protocole pour mieux assurer le respect des attentes légitimes découlant de la résolution du différend.

Est-ce que la coopération, en partant, dès le début, est vraiment une attente légitime? On dirait que oui vu que l’Assemblée nationale du Québec a clairement signalé sa volonté dans ce sens. Et le Barreau du Québec et la magistrature aussi ont exprimé une même volonté. Les bénéfices de la coopération sur le plan de l’économie sont clairement établis et d’ailleurs sont bien évidents pour monsieur et madame tout le monde. Pourtant, le phénomène de la non-coopération existe. Pour mieux comprendre, ça peut aider de se rappeler comment se passent les choses dans la nature.

À cet égard, je vous renvoie à un excellent article publié dans le cahier « Intelligent Life » des 18 – 24  février 2012 de la revue The Economist intitulé « Neurons vs free will ». L’auteur suggère qu’on doit regarder ce qui se passe au quotidien (par exemple à la salle 2.16, etc. du Palais de Justice à Montréal, la division de pratique de la Cour supérieure, district de Montréal) plutôt que de se fier aux examens du cerveau par les chercheurs.

Robert Axelrod, mathématicien et politicologue, dans son livre sur l’évolution de la coopération, « Donnant, donnant » reconnaît que la coopération existe « aussi » dans la nature d’après les biologistes.  Une lecture du chapitre du biologiste Robert Allen sur le « Cooperative behaviour » dans le livre édité par lui et intitulé « Bulletproof  Feathers – How Science Uses Nature’s Secrets to Design Cutting-Edge Technology » me laisse croire que les attentes découlent de la nature, y compris la nature humaine et sa capacité d’exercer des choix.

Je suis d’accord avec le psychologue et linguiste Steven Pinker quand il écrit dans son livre « The Better Angels of our Nature » à la page 186 : « Yet for all its limitations, human nature includes a recursive, open-ended, combinatorial system for reasoning, which can take cognizance of its own limitations. ». Par conséquent, je conclus que la coopération, l’interaction de gens autonomes dans la recherche de gains mutuels et réciproques est une attente légitime pouvant servir de base pour demander au Tribunal une ordonnance de saine gestion d’un litige, même de proprio motu du Tribunal, afin de répondre à la promesse implicite de coopération dans la nature humaine, à la tendance vers la non-violence et la promotion de la paix.