Vers une diminution du nombre de jeunes avocats?

Le titre de cet article peut sembler quelque peu étrange pour tous ceux et celles qui ont vu le marché juridique québécois évoluer au cours des 30 dernières années. En effet, le Barreau du Québec compte environ 24 000 membres et les facultés de droit de La Belle Province sont plus remplies que jamais. Du moins, elles le sont quand il n’y a pas de grève étudiante.

Cependant, pour une seconde année consécutive, le Law School Admission Council, une organisation américaine chargée de gérer le LSAT, soit le test standardisé que chaque étudiant doit passer afin d’être admis à une faculté de droit aux États-Unis, au Canada anglais et en Australie, rapporte une baisse importante dans le nombre d’étudiants qui passent le test. En chiffres, ça donne ceci:

  • en 2009-2010, 171 514 étudiants ont fait cet examen;
  • en 2011-2012, 129 925 étudiants ont subi cette épreuve, soit une baisse de 24% en deux ans.

Pour nos fins particulières, on doit analyser ces données en trois points:

  1. Comment expliquer cette baisse?
  2. Est-ce que ça signifie une baisse éventuelle du nombre d’avocats?
  3. Est-il probable d’observer quelque chose de similaire au Québec?

1. Comment expliquer cette baisse?

Premièrement, suite à la crise économique de 2008, plusieurs étudiants se sont refugiés dans les facultés de droit, se disant qu’après les trois années passées sur les bancs d’écoles, la tempête serait terminée. En vertu des quelques simili-éclaircies que nous observons actuellement dans l’économie en général, ils n’avaient peut-être pas tort. Or, les étudiants ne voyaient pas les changements majeurs à l’horizon dans une industrie qui n’avait somme toute pas beaucoup changé dans les 100 dernières années. C’est donc environ 45 000 étudiants qui gradueront cette année des facultés de droit américaines dans un marché en pleine métamorphose. Les bureaux ayant engagé moins de jeunes dans les années passées (mais un peu plus récemment), beaucoup de jeunes avocat(e)s se cherchent déjà du travail et plusieurs de ces finissants viendront s’ajouter au groupe. Cette baisse du nombre d’emplois disponibles a entraîné plusieurs effets pervers, incluant des recours collectifs contre les facultés de droit qui promettent encore la lune à leurs futurs étudiants (voir ce site pour un recensement des requêtes déposées à ce jour par un seul cabinet).

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que de moins en moins d’étudiants veulent se diriger vers le monde juridique. Ajoutez à ça des frais de scolarité annuels de 50 000$ par année pendant trois ans, en plus du bon vieux «room and board», et ça donne une baisse d’intérêt substantielle pour les études en droit.

2. Est-ce que ça signifie une baisse éventuelle du nombre d’avocats?

Les lois du marché étant ce qu’elles sont, si la demande pour les jeunes avocats baisse, l’offre devra éventuellement baisser. N’ayez crainte, l’alma mater de Barack Obama n’est pas à veille de fermer ses portes, mais les moins bonnes écoles pourraient avoir de la difficulté à recruter des étudiants de qualité si moins d’étudiants appliquent à leurs programmes. Il leur faudra donc soit diminuer le nombre d’étudiants par classe s’ils veulent conserver les mêmes standards d’admission ou soit abaisser ces standards, ce qui les fera dégringoler dans les classements d’universités (qui sont beaucoup plus importants aux États-Unis qu’au Québec).

Ça pourrait peut-être même amener certaines facultés à disparaître si elles ne font plus leurs frais. Si moins d’étudiants obtiennent des diplômes en droit, ça veut donc dire moins d’étudiants aux examens du Barreau. Présumant que c’est la même proportion de bons et de moins bons étudiants qui s’abstiennent de faire le LSAT, on peut penser que les taux de passage aux différents Barreaux resteront les mêmes, ce qui voudrait dire une diminution du nombre d’avocats faisant leur entrée dans la profession.

Donc, grosso modo, le nombre de jeunes avocats a de fortes chances de diminuer à moyen terme si le nombre d’étudiants qui passent le LSAT demeure au niveau actuel, tant et aussi longtemps que les différents Barreaux ne modifient pas le niveau de difficulté de leurs examens. N’oublions pas que ces chiffres incluent aussi le Canada anglais, mais bien entendu, dans une proportion bien moindre.

3. Est-il probable d’observer quelque chose de similaire au Québec?

Je ne crois pas, mais ce n’est pas impossible. En tout cas, rien ne nous laisse croire que ça se produira à court terme.

Premièrement, pas de LSAT, donc pas de stats alarmantes. Ensuite, malgré la hausse des frais de scolarité, nous demeurons toujours à des années-lumière de ceux exigés aux États-Unis. Qui plus est, nos étudiants peuvent accéder aux facultés de droit sans avoir obtenu de diplôme universitaire au préalable, ce qui signifie moins de dettes accumulées en finissant.

De plus, le niveau d’embauche des grands cabinets (un des seuls indicateurs fiables, même si peu représentatif de l’ensemble) semble relativement stable au pays, contrairement aux cabinets américains qui ont diminué l’embauche depuis 2008.

Cependant, il n’est pas fou de croire que cette tendance pourrait se répercuter chez nous (à moindre échelle) si les changements observés aux États-Unis continuent leur chemin vers le nord…