Publiez plus, pas moins

Lorsque intervient l’autorisation ou le règlement d’un recours collectif, une des étapes les plus importantes est la publication des avis aux membres du groupe. C’est un secret de polichinelle que les coûts de publication des avis sont presque toujours à la charge des compagnies ou des organismes gouvernementaux intimés. Ces coûts ne sont pas négligeables, de sorte qu’il n’est pas surprenant de voir ces intimés tenter de les réduire au minimum (en plus du fait qu’une entreprise n’est jamais très folle à l’idée de publiciser le fait que ses pratiques commerciales font l’objet d’un recours collectif). Cela n’en reste pas moins une erreur puisque une publication généreuse peut éviter bien des problèmes subséquents.

La décision récente de la Cour supérieure dans l’affaire Option Consommateurs c. Meubles Léon ltée (2012 QCCS 2839) illustre très bien ce propos.

Dans cette affaire, Option Consommateurs désire obtenir la permission d’intenter un recours collectif contre Meubles Léon Ltée pour la publication d’informations trompeuses quant aux conditions de crédit régissant l’achat de produits dans le cadre d’un programme de financement de type « achetez maintenant, payez plus tard ». Option réclame que Léon rembourse aux membres du groupe une somme équivalente au montant facturé à titre de « frais d’adhésion annuel » ou autre frais équivalent avec les intérêts courus. Elle demande aussi, à titre de réduction des obligations monétaires des membres envers Léon, le paiement de 100 $. Finalement, elle recherche une condamnation de 5 000 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs.

À l’autorisation, Léon requiert le rejet partiel de la demande pour motif de chose jugée, alléguant que certaines réclamations et certains membres sont déjà couverts par un jugement rendu dans un autre recours collectif.

Cet autre dossier avait fait l’objet d’un règlement et un avis avait été publié pour informer les membres de l’audition pour faire approuver celui-ci. Cet avis prévoyait la mention suivante:

6. Les parties demanderont également au tribunal de préciser la description du groupe afin que celui-ci inclut les personnes qui ont financé leur achat jusqu’à la date de la publication du présent avis.

Lors de l’audition sur l’approbation du règlement, la définition du groupe avait été élargie pour inclure certains membres du recours collectif qu’intente maintenant Option consommateurs contre Léon, d’où la requête en rejet partiel pour cause de chose jugée.

L’Honorable juge Marc-André Blanchard doit donc décider s’il doit rejeter en partie la réclamation contre Léon pour motif de chose jugée. Bien qu’il en vient à la conclusion qu’il existe en l’instance identité de cause et d’objet, il refuse de rejeter partiellement le recours étant d’opinion qu’il n’existe pas d’identité des parties. Pourtant, l’on parle bien des mêmes membres dans les deux recours.

Là où le bas blesse selon le juge Blanchard c’est que les membres du recours réglé qui se sont vu inclure dans le groupe lors de son élargissement à l’audition sur l’approbation n’ont jamais obtenu d’avis public les informant de la possibilité de s’exclure du groupe. Pour cette raison, toujours selon le juge Blanchard, il serait maintenant injuste de les priver du droit de faire partie d’un recours collectif. Il conclut donc que ces membres ne sont pas liés par le règlement intervenu, d’où l’absence de chose jugée à leur égard.

Il s’exprime ainsi:

[49] Par contre, le troisième motif invoqué par Option, soit quitte à se répéter, celui qui porte sur l’absence d’avis par entente de s’exclure du groupe, apparaît plus porteur.

[…]

[52] Donc, logiquement, comme l’affirme le Tribunal le 16 mai 2011, si les nouveaux membres du groupe ne peuvent avoir moins de droit que les membres du groupe initialement décrit, dont le droit de s’exclure, encore faut-il leur en donner la possibilité et l’opportunité.

[53] L’affaire Riendeau c. Brault et Martineau inc.[25] illustre cette problématique alors que le Tribunal refuse de modifier le groupe au-delà de la date du jugement d’autorisation parce que l’audition au mérite est terminée et qu’il est trop tard pour publier un nouvel avis en vertu de l’article 1013 C.p.c.

[54] Dans Marcotte et al c. Banque de Montréal et als[26] et Option aux consommateurs c. Banque Amex du Canada[27], le Tribunal permet la modification du groupe, mais ordonne la publication d’un nouvel avis aux membres pour leur permettre de s’exclure tout en fixant le délai pour poser un tel geste.

[55] Soulignons que dans l’avis aux membres du 30 octobre 2010[28] en l’instance, on ne trouve aucune mention de la possibilité de s’exclure du groupe qui sera probablement ultérieurement modifié et cela en conformité avec l’article 1006 e) C.p.c. qui énonce :

[…]

[61] Puisque la LPC vise à protéger le consommateur crédule et inexpérimenté, comme l’énonce l’arrêt Richard c. Time inc.[35], il convient d’analyser l’avis aux membres du 30 octobre 2010 dans cette perspective. Avec égards, nul besoin de pérorer pour constater son caractère inadéquat. En effet, comment une personne crédule et inexpérimentée, membre potentiel du groupe visé par l’instance, peut-elle comprendre de cet avis que le règlement de l’affaire St-Pierre pourra, possiblement d’une part, la viser et, d’autre part, qu’elle puisse s’exclure? Une réponse raisonnable s’impose d’emblée : cela relève, au mieux, de la plus pure spéculation et, au pire, de l’impossibilité. Or, le Tribunal doit se satisfaire d’une démonstration plus concluante pour avaliser un tel processus.

[62] L’argument de Léon et la méthode entreprise apparaissent habiles, pour ne pas dire ingénieux, mais ne peuvent emporter l’adhésion du Tribunal.

[63] En effet, il répugne à la notion de justice de permettre de stériliser le recours judiciaire collectif d’un nombre potentiellement élevé de justiciables par le biais d’une mécanique juridique qui ne respecte pas les notions fondamentales de justice, en l’occurrence le droit de recevoir en temps utile une information adéquate et celui de pouvoir s’exclure d’un recours collectif.

[64] À l’instar des décisions de la Cour d’appel du Québec[36] et de la Cour suprême dans l’affaire Lépine[37], le Tribunal doit conclure que l’avis aux membres du 30 octobre 2010[38] et, par voie de conséquence en ce qui a trait aux effets sur notre affaire uniquement, le jugement du 16 mai 2011 ne respecte pas les principes essentiels de la procédure collective. Il ne peut donc conclure que l’autorité de la chose jugée découlant de l’affaire St-Pierre s’applique aux membres du groupe défini dans les procédures en l’espèce.

[65] Il n’existe donc pas d’identité de parties. Voilà pourquoi le Tribunal rejettera la requête en rejet partiel.

Ainsi, l’on constate que l’absence d’avis subséquent à l’approbation du règlement, de par lequel les membres auraient pu être informés de la possibilité de s’exclure du groupe a des conséquences majeures en l’instance.

Il faudra retenir en matière de recours collectif que l’opposabilité aux membres des décisions rendues par les tribunaux est presque toujours tributaire de la publication d’avis jugés adéquats. Ainsi, bien que cela soit coûteux dans l’immédiat (et désagréable sous l’angle des relations publiques), il est toujours préférable d’assurer une diffusion la plus large et fréquente possible des avis.

Au final, le coût d’une publication supplémentaire sera toujours une fraction seulement du coût qui découlera de l’inopposabilité à certains membres d’une transaction ou d’un jugement.

Publiez plus, pas moins.