Un bail commercial publié : bien des tracas en moins!

Nous ne le répèterons jamais assez, la publication d’un bail commercial permet de protéger les droits du locataire advenant la vente ou la reprise hypothécaire de l’immeuble où sont situés les lieux loués et éviter ainsi la résiliation du bail commercial.  Par publication du bail commercial, j’entends qu’un avis est publié dans le Registre foncier du Québec, selon un certain formalisme, afin qu’il devienne opposable au nouveau propriétaire, sans quoi, ce dernier pouvant résilier le bail et évincer le locataire.  Sur ce point, je vous réfère à mon billet dans Le Blogue – Edilex publié en octobre 2011 dont voici le lien:  « Locataire :  Surveillez vos arrières! ».

C’est ce qui fut, entre autres, soulevé dans un jugement récent daté du 23 octobre 2012 rendu par la Cour supérieure dans l’affaire Les Entreprises G.M. Mallet inc. c. Deschênes et al. (2012 QCCS 5228).

Ce jugement a comme toile de fond un abus flagrant de procédures que le juge a tôt fait de dénoncer et qualifia même cette bataille dans laquelle le nouvel acquéreur s’était engagé de désolante!  Le mot est faible.

Ce litige origine de l’acquisition d’un immeuble commercial à être démoli afin qu’un complexe funéraire y soit exploité.  Dans cet immeuble, deux locataires y occupent déjà les lieux, soit Serge Deschênes, sous la bannière de Monsieur Balayeuse et Simon Lachance, sous la bannière de Restaurant Sushi.

Voici un survol des faits menant au litige :  une offre d’achat fut conclue concernant la propriété et était valable jusqu’au 30 novembre 2010.  Les propriétaires actuels en continuent les opérations et renouvellent i) en date du  22 novembre 2010, le bail de Monsieur Balayeuse, dont la nouvelle échéance est le 30 novembre 2012 et ii) en date du 8 décembre 2010, celui de Restaurant Sushi, dont la nouvelle échéance est le 30 septembre 2012.

Après avoir su que l’immeuble dans lequel ils exploitaient leur commerce allait être vendu, ces deux locataires firent publier leurs baux respectivement les 5 et 20 janvier 2011.  Le 3 février qui s’ensuivit, bien que le notaire instrumentant ait avisé l’acquéreur que lesdits baux étaient publiés et, de plus, bien que le vendeur ait offert de ne pas conclure la vente étant donné cet état de fait, le nouvel acquéreur décida tout de même de conclure la vente tout en démontrant son insatisfaction et déclarant qu’il gèrera lui-même le problème, soit de démolir l’immeuble avec une pelle mécanique.  Ce que son notaire lui déconseilla.

Une saga débuta.  S’ensuivirent de la part du nouvel acquéreur des avis par voie de mise en demeure, des requêtes en expulsion,  des demandes d’injonction et, comme si ce n’était pas suffisant, il fit ériger une imposante clôture de fer en face du bâtiment, laquelle avait pour conséquences de bloquer tout accès aux commerces, y accrocha une pancarte indiquant « Danger d’effondrement ne pas pénétrer » et interrompit l’eau et l’électricité.  Il y a plus encore.  L’un des locataires ayant remis son chèque de loyer du mois d’octobre 2011 en oubliant de le signer se vit déposer une requête en vue d’une ordonnance de … faillite.  De plus, un journaliste de la presse écrite du journal local s’intéressa à cette saga, posa des questions aux locataires.  Un article fut écrit à ce sujet et une poursuite en diffamation contre les locataires ne tarda pas à leur être signifiée.  Le cauchemar, quoi!

L’une des questions en litige que le juge Serge Francoeur se posa est la suivante :

« Déterminer si les baux détenus par Simon Lachance et Serge Deschênes au moment de l’achat de l’immeuble dans lequel ils opèrent leurs commerces étaient valides et le cas échéant, quand celui de Deschênes se termine? » 

Sur ce, le juge analysa les faits:

« [29]        Ces locataires, chacun de leur côté, ont négocié avec Mario D’Amours, un des trois propriétaires de l’immeuble, dont la tâche est de s’occuper des baux locatifs.

[30]        D’Amours, incertain de l’issue de la transaction en cours sur l’immeuble avec Mallet, considère que les affaires doivent continuer et qu’un immeuble locatif doit louer ses locaux.

[31]        Toute attaque de Mallet envers la validité, le renouvellement des baux et leurs publications au Registre foncier du Québec est sans fondement.

[32]        Lorsque Deschênes et Lachance apprennent que Mallet veut démolir l’immeuble le 1er  avril 2011, ils sont en droit de se protéger en publiant leurs baux.

[34]        De toute façon, publication ou non des baux, Mallet avait l’obligation d’en respecter les termes, ayant été informé de ceux-ci avant la vente par son notaire et D’Amours. »

 et ajouta:

« [49]        Venant d’acheter un terrain et un immeuble à démolir, peu importe le prix de la transaction et l’argent investi dans un projet, Mallet a délibérément tenté de mettre fin à des baux donnant droit à des propriétaires de petites entreprises d’occuper leurs locaux comme ils le faisaient depuis 5 et 25 ans.

[52]        Ces deux commerçants avaient renouvelé dans le cours des affaires et selon leurs besoins respectifs leurs baux, publié ceux-ci pour se protéger et opérer leurs commerces avec quiétude. »

Le tribunal ordonna le respect du bail et l’occupation des lieux paisiblement jusqu’à échéance.

Par chance, les baux ayant été publiés, le nouvel acquéreur ne pouvait les résilier.  Il devait attendre l’échéance respective des baux.

Dans le cours normal de la durée de vie d’un bail commercial, il est fréquent qu’il  y ait des amendements, renouvellements, cessions et même des ententes de diminution de loyer, il est donc primordial de publier à nouveau tous ces changements au Registre foncier du Québec afin qu’ils deviennent opposables au tiers, vous évitant ainsi bien des tracas!