L’acquisition étrangère et le critère de l’avantage net (2e partie)

Le 7 décembre dernier, le gouvernement conservateur a avalisé la prise de contrôle de Nexen par la chinoise Chinese National Off-shore Oil Company («CNOOC»). Il a du même coup donné son feu vert à l’offre révisée de la malaisienne Petronas visant l’achat de Progress Energy. Ce faisant, le gouvernement a jugé que ces acquisitions étrangères étaient à l’ «avantage net» du Canada en vertu de la Loi sur Investissement Canada (la «Loi»).

Dans notre billet du 29 octobre dernier, nous soulignions le caractère vague des critères entourant l’acquisition de sociétés canadiennes par des investisseurs étrangers. Nous avions soulevé que le critère de l’«avantage net» se devait d’être révisé et précisé. Nous avions du même coup émis l’opinion que ce critère, qui ne semblait plus répondre aux impératifs d’une économie globalisée, laissait une place trop importante à la joute politique dans un processus qui devrait être avant tout fondé sur des impératifs économico-juridiques.

Ces observations nous semblent encore plus pertinentes dans le cadre des acquisitions entreprises par CNOOC et Petronas, deux sociétés d’état étrangères ayant choisi d’acquérir des sociétés œuvrant au sein de l’industrie pétrolière et gazière, une industrie d’intérêt national.

En 2007, dans un objectif évident de protéger l’intérêt national, Industrie Canada avait soumis des lignes directrices visant spécifiquement les sociétés d’état («SE») étrangères. Ces lignes directrices indiquaient notamment que :

«Le gouvernement du Canada a pour politique de s’assurer que la gouvernance et l’orientation commerciale des SE sont prises en considération au moment de déterminer si leurs acquisitions de contrôle au Canada, pouvant faire l’objet d’un examen, procurent un avantage net pour le Canada. Ce faisant, il sera attendu que, dans leurs plans et engagements, les investisseurs abordent la question des caractéristiques inhérentes aux SE, spécifiquement qu’elles sont susceptibles d’être sujettes à l’influence d’États. Les investisseurs devront également démontrer un engagement fort envers des activités transparentes et de nature commerciale.»

Le ministre de l’Industrie, Christian Paradis a justifié sa décision d’octroyer son feu vert en indiquant que CNOOC avait de façon concrète pris de tels engagements visant à garantir que la transaction serait à l’avantage net du Canada. Le ministre a souligné que «pour démontrer que la transaction sera vraisemblablement à l’avantage net du pays, CNOOC a pris des engagements considérables envers le Canada dans les domaines suivants : la gouvernance, y compris des engagements en matière de transparence et de divulgation; l’orientation commerciale, y compris le respect du droit et des pratiques canadiennes de même que des principes de marché libre; et l’emploi et l’investissement de capitaux, ce qui démontre un engagement à long terme à l’égard du développement de l’économie canadienne. Un rapport de conformité relativement aux engagements sera présenté à Industrie Canada de façon annuelle».

Ce que nous retenons de la déclaration du ministre Paradis c’est l’absence de référence à la sécurité nationale du Canada. L’analyse du ministre semble s’être concentrée sur l’avantage net du Canada. Mais qu’en est-il de l’analyse des investissements portant atteinte à la sécurité nationale en vertu de la section IV.1 (adoptée en mars 2009) de la Loi? Cette portion semble avoir été complètement oblitérée. Pourtant l’acquisition de compagnies des secteurs gaziers et pétroliers nous semble intimement liée à la sécurité nationale et à la souveraineté énergétique du pays.

En plus de se retrouver à la section IV.1 de la Loi, la préservation de la sécurité nationale est aussi l’un des fondements de la Loi. L’article 2 de la Loi est univoque sur ce point :

«Étant donné les avantages que retire le Canada d’une augmentation du capital et de l’essor de la technologie et compte tenu de l’importance de préserver la sécurité nationale, la présente loi vise à instituer un mécanisme d’examen des investissements importants effectués au Canada par des non-Canadiens de manière à encourager les investissements au Canada et à contribuer à la croissance de l’économie et à la création d’emplois, de même qu’un mécanisme d’examen des investissements effectués au Canada par des non-Canadiens et susceptibles de porter atteinte à la sécurité nationale.»

Nous aurions souhaité que l’analyse de la transaction se penche en priorité sur cette question . À ce titre, et bien que visant a priori le contexte américain, nous jugeons particulièrement pertinente la grille d’analyse proposée par Theodore H. Moran. Celui-ci identifie trois menaces potentielles à la sécurité nationale et propose qu’elles soient analysées de manière successive. Ces menaces potentielles sont décrites comme suit :

«The first category (“Threat I”) consists of acquisitions that would make the home country dependent upon a foreign-controlled supplier that might delay, deny, or place conditions on the provision of goods or services crucial to the functioning of the home economy (including the functioning of the defense industrial base). The second category (“Threat II”) consists of acquisitions that would allow the transfer to a foreign-controlled entity of technology or other expertise that might be deployed by the entity or its government in a manner harmful to the home country’s national interests. The third category (“Threat III”) consists of acquisitions that would enable the insertion of some potential capability for infiltration, surveillance, or sabotage – via a human or non-human agent – into the provision of goods or services crucial to the functioning of the home economy (including, but not exclusively, the functioning of the defense industrial base)»

Bien que le ministre ait choisi de ne pas aborder directement la question de la sécurité nationale, celui-ci a émis de nouvelles directives visant l’acquisition de sociétés canadiennes par des sociétés d’état étrangères. À l’avenir, de telles acquisitions ne se feront que dans des cas exceptionnels. Nous sommes d’avis qu’il serait aussi souhaitable que les analyses ministérielles portent une plus grande attention à la question de la sécurité nationale et nous soumettons que la grille d’analyse citée plus haut serait particulièrement à propos.