À la recherche de constance

Me doutant que votre plus grand souhait pour le temps des fêtes, entre deux délicieux morceaux de dinde, est de continuer à être informés des développements récents en matière de recours collectif, je vous offre ce billet de Noël. Ce que je ne vous offre pas cependant, c’est de la clarté. Je m’explique.

Dans un monde idéal, la jurisprudence serait toujours, pour toutes les questions, constante et unanime. C’est bien sûr impossible. Comme me l’ont souvent lancé des juges (parfois à la blague, parfois moins…), c’est pour ça que la Cour d’appel existe. Or, en matière d’autorisation d’exercer un recours collectif, le problème est exacerbé par le fait qu’il n’y a pas d’appel du jugement autorisant l’exercice du recours ou des jugements interlocutoires.

Alors pourquoi discuter de constance ce matin? Parce qu’après vous avoir écrit deux billets sur la tendance récente des tribunaux québécois à se montrer plus exigeants envers le représentant proposé quant à la prise d’un rôle actif dans l’élaboration et la conduite du recours (voir les billets du 4 juin et du 15 octobre), la Cour supérieure vient de rendre une décision complètement incompatible avec ce courant dans Lavoie c. Abbott Medical Optics Inc. (Advanced Medical Optics Inc.) (2012 QCCS 6147).

En l’instance, la preuve démontre que la représentante proposée n’a fait aucune recherche et n’a pas tenté de contacter quelque autre membre du groupe. Nonobstant ce fait, la Cour considère que le critère de l’article 1003 (d) est satisfait:

[49] Le cas de madame Lavoie est ici différent. Lavoie utilise la solution fabriquée par AMO depuis une dizaine d’années. À une époque contemporaine au rappel de la solution, elle contracte l’infection AK. La seule question est de déterminer si elle peut être représentante. Car Lavoie n’a fait aucune démarche pour identifier d’autres utilisateurs de la solution ayant contracté la maladie.

[50] Lavoie a été interrogée hors de cour. Elle dit avoir été informée récemment par son avocat de l’existence d’une autre personne victime de AK et utilisatrice de la solution au Québec. Lavoie n’a fait aucune démarche pour s’assurer du nombre de personnes qui auraient eu un problème de AK (interrogatoire hors de cour p. 24).

[51] Invoquant le cas de madame Perreault qui n’avait fait aucune recherche d’autres victimes ni identifié de membres du groupe, les intimées considèrent que Lavoie n’est pas une représentante sérieuse.

[52] Les intimées soulignent également que MacMillan et son avocat n’avaient pas eux non plus effectué le minimum de démarches nécessaires pour intenter un recours collectif.

[53] Il est vrai que Lavoie n’a fait aucune démarche pour identifier d’autres membres pour qui elle se propose d’agir. Toutefois, le groupe qu’elle est appelée à représenter est composé d’un nombre limité de personnes. Le Tribunal estime qu’il sera toujours temps de contacter les autres membres.

[54] Quant à sa qualité de représentante, le Tribunal souligne que le code n’exige que la faculté d’assurer une représentation adéquate des membres. Outre son absence de démarche spécifique, les intimées ne soulèvent pas une incapacité comme telle de la requérante de représenter le groupe.

[55] Le Tribunal estime que la requérante est en mesure d’assurer une représentation adéquate des membres.

Vérité soit dite, je ne vois aucune façon de réconcilier cette décision avec celles que je vous ai citées dans mes billets de juin et octobre. Quel que soit la solution qui sera ultimement retenue par les tribunaux québécois sur la question, il me semble impératif que l’on fasse preuve de constance à cet égard.

En terminant, je profite de l’occasion pour vous faire part de mes meilleurs voeux pour le temps des fêtes.