Indalex, un pétard mouillé?

L’affaire Indalex ( ou Sun Indalex Finance, LLC) a fait les choux gras des auteurs pendant plusieurs années et alimenté les conférences sur l’insolvabilité, dont la conférence nationale Revue Annuelle du Droit de l’insolvabilité de la professeure Janis Sarra (ARIL 2013) qui se tiendra vendredi le 8 février 2013 au Palais des Congrès de Montréal. Vous devriez d’ailleurs être déjà inscrits car il y aura foule.

L’arrêt de la Cour suprême du Canada est tombé aujourd’hui dans le dossier Indalex. Dans une cause provenant de l’Ontario, un créancier garanti DIP avait vu son rang prioritaire être mis de côté, obligeant le paiement du déficit du fonds de pension des employés de la compagnie débitrice. L’actif avait été liquidé dans le cadre d’un arrangement sous la LACC et le produit était insuffisant pour rembourser le prêt DIP. La Cour d’appel de l’Ontario avait ordonné le paiement du déficit actuariel des fonds de pension, malgré les ordonnances antérieurement rendues dans le cadre de la LACC tant pour le prêt DIP que pour la vente.

La Cour suprême résumait ainsi le litige : « La Cour (d’appel) a déclaré qu’il y avait une fiducie présumée en faveur d’un des régimes de retraite et qu’il y avait eu des violations d’obligations fiduciaires de common law et prévues par la loi qui ont donné lieu à une fiducie constructoire en faveur de l’autre régime de retraite. La Cour a déclaré que les régimes avaient priorité et que les insuffisances de l’actif devaient être comblées à partir du fonds de réserve. »

 L’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario avait donné lieu à une belle démonstration d’hystérie collective digne des meilleurs jours du Crédit Social du Canada : fin des haricots pas de beurre, impossibilité d’obtenir du financement intérimaire, les carottes sont trop cuites, la LACC au panier percé, les sûretés et jugements n’ont plus aucune valeur, etc. Bref on annonçait la fin du monde si toutes et chacune des pratiques du barreau ontarien d’insolvabilité n’étaient pas avalisées en haut lieu.

Les règles d’administration des régimes de retraite étant différentes au Québec, le problème de devoir fiduciaire semblait moins important pour nous. De plus, depuis cette décision de la Cour d’appel, certaines mesures pouvaient facilement être mises en place pour éviter toute apparence de conflit, par exemple en remplaçant les fiduciaires et en donnant des avis convenables.

 Quatre juges sur sept ont conclu qu’il y avait bien fiducie réputée et les sept juges ont confirmé que l’ordonnance de priorité du prêt DIP pouvait reléguer la fiducie réputée à un rang subalterne. Voilà tout de même une question importante qui est réglée par la bande.

Sur le devoir fiduciaire, la Juge Deschamps écrit : « En outre, bien que l’employeur ait pu se placer en conflit d’intérêts en tant qu’administrateur du régime, en ne donnant pas dûment avis aux participants d’une motion en vue de financer l’exploitation de l’entreprise pendant la restructuration, il n’est pas réaliste de penser que le tribunal chargé d’appliquer la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. 1985, ch. C?36 (« LACC »), aurait établi un ordre de priorité différent si les participants avaient été avisés et si le tribunal avait conclu qu’ils étaient des créanciers garantis. » Les juges dissidents sont d’accord sur le devoir, mais pas sur l’absence de sanction.

Toutefois, dans la majorité des cas, ce n’est pas le prêt DIP qui sera en compétition avec la fiducie réputée de pension, mais le prêt avec sûretés conventionnelles. Il n’y a aucune réponse de la Cour suprême sur cette question.

Il n’y a pas d’indication claire sur l’effet de la fiducie réputée lors de l’application de la LACC. En rejetant le premier argument des appelants, qui plaidaient qu’aucune fiducie réputée ne s’applique sous la  LACC, comme c’est le cas en faillite sous la LFI, la Juge Deschamps conclut :  « [52] La fiducie réputée créée par la LRR continue de s’appliquer dans les instances relevant de la LACC, sous réserve de la doctrine de la prépondérance fédérale (Crystalline Investments Ltd. c. Domgroup Ltd., 2004 CSC 3, [2004] 1 R.C.S. 60, par. 43).  La Cour d’appel a donc jugé à bon droit que, à l’issue d’un processus de liquidation relevant de la LACC, les priorités peuvent être établies selon le régime prévu dans la LSM (Loi sur les sûretés mobilières, L.R.O. 1990, ch. P.10), plutôt que selon le régime fédéral établi dans la LFI. »  Cependant seuls deux juges se prononcent sur cette importante question.

En résumé, c’est un pétard mouillé et l’absence d’une disposition précise de la LACC qui annule les effets des fiducies réputées (autres que celles en faveur de la Couronne) laisse ouverte la question de l’application de toutes les autres fiducies réputées législatives, provinciales et fédérales.