La convention unanime des actionnaires et la responsabilité statutaire des administrateurs

Une convention unanime des actionnaires enlevant aux administrateurs tous leurs pouvoirs permet-elle d’échapper à la responsabilité statutaire pour salaires impayés? La Cour d’appel du Québec s’est penchée sur cette question à l’occasion de l’arrêt Allard c. Myhill rendu au mois de novembre dernier et encore une fois, le voile corporatif ne s’avère pas être la protection que certains espèrent.

« [..] une personne morale ne peut agir autrement que sous la direction d’au moins une personne physique et que, par voie de conséquence, en l’absence d’au moins un administrateur exerçant de jure la direction de la société, la personne qui la dirige en devient l’administrateur de facto et, à ce titre, doit assumer les responsabilités et obligations en matière de rémunération prévues à l’art. 119 LCSA. »

Les propos de l’Honorable juge Dalphond, écrivant pour la Cour unanime, apparaissent sans équivoque : on doit voir au-delà du paravent que peut constituer le voile corporatif et retenir la responsabilité des personnes ayant le contrôle ultime de la société.

Il est utile de rappeler que la Loi canadienne sur les sociétés par actions prévoit, tout comme la Loi sur les sociétés par actions québécoise, une responsabilité statutaire des administrateurs pour les salaires et autres dettes impayées des employés de la société :

119. (1) Les administrateurs sont solidairement responsables, envers les employés de la société, des dettes liées aux services que ceux-ci exécutent pour le compte de cette dernière pendant qu’ils exercent leur mandat, et ce jusqu’à concurrence de six mois de salaire.
[…]

Or, que se passe-t-il lorsque par l’effet d’une convention unanime des actionnaires, tous les pouvoirs des administrateurs sont assumés par l’actionnaire unique de la société et que cet actionnaire est une société insolvable? La Cour est d’avis que l’on doit rechercher et retenir la responsabilité des personnes qui assument véritablement ces tâches et responsabilités :

[32] […] Pour les fins des présentes, il suffit d’en retenir que le législateur fédéral, dans la poursuite d’une finalité sociale, a choisi de protéger les personnes les plus vulnérables et généralement les moins informées de la situation financière véritable de la société, en imposant aux administrateurs, dans la prise des décisions, l’obligation de s’assurer que les salaires et autres dettes liées aux services rendus par les employés alors qu’ils sont en poste soient suffisamment provisionnés. En d’autres mots, « à poser un acte déterminé » […], d’être proactifs comme administrateurs.

[33] La jurisprudence reconnaît que cette obligation personnelle incombe à ceux qui de fait exercent le contrôle décisionnel ultime sur le fonctionnement de la société, normalement les administrateurs élus, constituant le conseil d’administration ou, si telle n’est pas la réalité, la ou les personnes qui de fait exercent ce contrôle décisionnel, appelées les administrateurs de facto.

[34] L’extension de la responsabilité à l’administrateur de facto est tout à fait conforme à la définition du terme « administrateur », en anglais, « director », prévue à l’art. 2 LCSA :

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.
[…]
« administrateur » Indépendamment de son titre le titulaire de ce poste; « conseil d’administration » s’entend notamment de l’administrateur unique.
[…].

2. (1) In this Act,
[…]
« director » means a person occupying the position of director by whatever name called and « directors » and « board of directors » includes a single director;
[…].

[35] Cette définition est fonctionnelle et reconnaît une réalité : une personne morale ne peut agir que par des êtres humains. Ultimement, il se trouve toujours une personne, en chair et en os, qui en assume le contrôle, ce que reconnaît désormais expressément l’art. 109(4) LCSA en cas de démission ou révocation de tous les administrateurs.

[36] Pour les fins d’application de l’art. 119 LCSA, c’est à cette personne qu’incombe l’obligation de prendre les mesures appropriées pour garantir le paiement des salaires et autres dettes dues aux employés pour les services rendus.

[37] En présence d’une convention unanime d’actionnaires, comme en l’espèce, il serait absurde de conclure que la personne physique en mesure d’être proactive quant aux salaires et autres dettes liées aux services, constituant l’administrateur de facto d’Inter, est néanmoins libérée de la responsabilité personnelle en cas de défaut de mettre en place les mesures appropriées pour protéger les employés. Une telle interprétation stériliserait la portée de l’art. 119 LCSA et doit être écartée […].

Dans le même esprit que les dispositions du Code civil du Québec sur ce sujet, la Cour d’appel réitère ainsi que le voile corporatif ne permet pas de faire indirectement ce que l’on ne peut faire directement.