Partiellement déçu

Nous en avons déjà discuté, en matière d’autorisation de recours collectif, il n’est pas toujours évident de connaître les règles applicables en matière d’appel. L’article 1010 du Code de procédure civile prévoit que le jugement qui rejette la requête en autorisation est sujet à appel de plein droit, alors que le jugement qui accueille la requête et autorise l’exercice du recours est sans appel. Mais qu’en est-il du jugement interlocutoire qui rejette en partie le recours? La Cour d’appel vient de répondre à cette question dans l’affaire Sarrazin c. Québec (Procureur général) (2013 QCCA 374).

Dans cette affaire, l’Appelant a déposé une requête en autorisation d’exercer un recours collectif au nom des personnes qui auraient été privées, de manière discriminatoire, de la reconnaissance du statut « d’Indien » en vertu de la Loi sur les Indiens. Il allègue que cette exclusion les aurait privés de divers avantages auxquels ils auraient autrement eu droit en vertu de cette loi. Au mérite, il demande que certains articles de la loi soient déclarés inconstitutionnels.

Les Intimés, avant même l’audition de la requête en autorisation, ont demandé le rejet de certaines des réclamations formulées par l’Appelant au motif que la Cour supérieure n’a pas compétence pour entendre celles-ci. Le juge de première instance a fait droit à cette requête et rejetté en partie la requête en autorisation.

L’Appelant a alors inscrit en appel contre ce jugement. Les Intimés, d’avis que l’article 1010 ne s’applique pas au rejet partiel et préliminaire d’une requête en autorisation, plaident que l’Appelant devait demander la permission de la Cour pour valablement former appel.

Les Honorables juges Léger, Fournier et Bélanger, dans un jugement unanime, donnent raison aux Intimés et rejetent l’appel au motif que seul le jugement qui rejette la requête en autorisation est visé par l’article 1010 et que ce n’est pas l’effet du jugement rendu en l’instance:

[14] Il découle de l’article 1010 C.p.c. que seul le jugement qui rejette la requête en autorisation est sujet à appel de plein droit. Ce n’est pas l’effet du présent jugement. Le jugement en autorisation n’a pas encore été rendu et l’instance se poursuit.

[15] Il est maintenant bien établi que les jugements interlocutoires rendus au cours des procédures en autorisation d’un recours collectif ne sont pas susceptibles d’appel au sens des articles 29 et 511 C.p.c.[3]. Toutefois, dans certains cas, il est possible d’obtenir une permission d’appeler.

[16] Dans l’affaire Ridley inc. c. Bernèche[4], après avoir fait une revue exhaustive des arrêts rendus par la Cour, la juge Marie-France Bich réitère le principe que sauf exception, des jugements rendus avant celui statuant sur la demande d’autorisation ne sont pas susceptibles d’appel.

[17] Cependant, elle précise que dans certains cas exceptionnels, une permission d’appeler peut être accordée, soit lorsque la question est nouvelle ou lorsqu’il est primordial, dans l’intérêt de la justice, de la trancher immédiatement :

[17] La règle que l’on peut tirer de ces arrêts est, en définitive, celle qu’exprime la Cour dans Pharmascience, ci-dessus : sauf exception, ne sont pas susceptibles d’appel les jugements rendus avant le jugement statuant sur la demande d’autorisation d’exercer le recours collectif.

[18] Le principe est clair. Quels sont les contours de l’exception?

[19] Les circonstances justifiant de déroger au principe sont fort rares, comme on le constate à la lecture de la jurisprudence.

[20] Un peu comme c’est le cas lorsqu’on a affaire à un jugement rejetant une requête en irrecevabilité (qui n’est normalement pas susceptible d’appel), il semble d’abord que la permission peut être accordée lorsque la question est nouvelle et qu’il est primordial, dans l’intérêt de la justice, de la trancher immédiatement : c’était le cas dans l’affaire Apotex (devenue Pharmascience), où l’on débattait de la constitutionnalité même des articles 1002 et 1003 C.p.c.

[21] La permission peut également être accordée si le débat porte directement sur la compétence ratione materiae de la Cour supérieure, comme c’était le cas dans l’affaire Société Asbestos ltée (jugement sur lequel je reviendrai).

[22] La permission peut être accordée aussi en cas de litispendance : c’est ce que semble avoir décidé la Cour dans Hotte c. Servier Canada inc., où trois requérants se disputaient, dans des procédures différentes en Cour supérieure, le droit de représenter le même groupe de consommateurs contre la même partie défenderesse, pour une même cause d’action.

(Références omises)

[18] Dans l’affaire Toyota c. Harmegnies[5], le juge Pierre J. Dalphond fait siens les commentaires de la juge Bich dans l’affaire Ridley , tout en précisant qu’il soit possible que d’autres cas s’ajoutent aux exceptions:

[8] Je fais miens les commentaires de la juge Bich dans un jugement soigné rendu le 14 juillet 2006, Ridley inc. c. Bernèche, 2006 QCCA 984 , où elle analyse les dispositions du Code de procédure civile et la jurisprudence en matière d’appel des jugements rendus avant le stade de l’autorisation d’un recours collectif. Ce jugement m’apparaît refléter correctement l’état du droit et je l’endosse entièrement. Il en ressort que, règle générale, il n’y a pas d’appel de ces jugements. Exceptionnellement, la possibilité d’obtenir une permission d’appeler a été reconnue à l’égard d’un jugement portant sur la compétence ratione materiae de la Cour supérieure ou la litispendance. On pourrait aussi concevoir une telle possibilité pour un jugement statuant sur l’inhabilité de l’avocat d’une partie ou violant le secret professionnel protégé par l’art. 9 de la Charte québécoise; il existe, peut-être, certains autres cas.

[19] La Cour estime que cette position, maintenant bien établie, doit être maintenue. Les jugements rendus avant le jugement en autorisation ne sont pas susceptibles d’appel, sauf cas exceptionnels et sur permission seulement.