Clauses d’exclusivité et réalité commerciale

Une entreprise peut-elle opposer une clause d’exclusivité à son concurrent afin de l’empêcher de faire affaire avec son client ? Pas sans poursuivre ce client tranche la Cour d’appel si la violation de l’exclusivité n’est pas flagrante. Retour sur l’affaire Rouge Resto-bar inc. c. Zoom Média inc., une décision fort intéressante où s’oppose cadre procédural et réalité commerciale.

Rouge Resto Bar Inc. et Zoom Média Inc. sont deux entreprises d’affichage publicitaire dans des restos-bars. Zoom a déjà installé son matériel publicitaire dans plusieurs restos-bars lorsque Rouge, société fondée par l’un de ses anciens employés, vient y installer le sien. Invoquant la clause d’exclusivité de ses contrats, Zoom s’adresse aux tribunaux afin que l’on ordonne à Rouge de se retirer de ces établissements.

Or, le hic, c’est que Zoom n’a pas voulu impliquer ses clients dans la poursuite qu’elle entreprenait contre son rival, ne poursuivant que Rouge. Cela s’explique tout à fait d’un point de vue commercial : « on ne ferait pas ça à nos partenaires » affirmait le président du conseil d’administration et chef de la direction de Zoom Média*. Mais l’entreprise d’affichage publicitaire pouvait-elle s’adresser aux tribunaux sans impliquer la partie qui lui avait consenti contractuellement l’exclusivité en matière d’affichage ? N’y a-t-il pas là violation de la règle audi alteram partem alors que le client concerné serait susceptible de perdre un droit sans avoir eu l’occasion préalable de le défendre, soit son droit au revenu afférent à l’affichage publicitaire dans son établissement?

Après révision de décisions antérieures sur la question, dont un arrêt de la Cour suprême du Canada dans la cause Trudel c. Clairol Inc. of Canada, la Cour d’appel note que par le passé on a effectivement donné droit à des poursuites contre des tiers s’étant associés à la violation d’un contrat et ce, même si le contractant fautif n’était pas poursuivit. Toutefois, l’Honorable juge Paul Vézina, pour la Cour unanime, détermine que dans tous ces cas, la violation de l’obligation par le cocontractant était flagrante de sorte que le tiers qui y participait le faisait sciemment.

En l’espèce, la portée des clauses d’exclusivité, lesquelles sont nombreuses et d’une grande diversité, n’est pas si évidente qu’elle puisse conduire à une violation flagrante des contrats. En effet, selon la Cour, il n’est pas clair si l’exclusivité de Zoom s’étend à l’ensemble des établissements visés et si cette exclusivité écarte le type d’affichage utilisé par Rouge.

La Cour d’appel conclue donc :

Si les arrêts Clairol et autres permettent de faire exception au principe audi alteram partem, il faut toutefois constater ici que l’engagement de l’exploitant était discutable, que, s’il y a eu violation, elle n’était pas « flagrante » et qu’il ne peut donc être reproché à Rouge d’y avoir participé « sciemment ». Bref, l’hypothétique exception ne s’applique pas.

À la lumière des conclusions du plus haut tribunal de la province, on comprend l’importance d’une rédaction rigoureuse de ces clauses d’exclusivité puisque qu’un texte bien ficelé permettra de ne poursuivre que son concurrent, sans devoir impliquer ses clients dans un débat judiciaire.