De prières et de signes religieux

Les développements en matière de droits de la personne sont de ceux qui passionnent non seulement les praticiens du droit mais également les citoyens en général. Dans mon cas, les dernière années m’ont amené à en faire un volet important de ma pratique de tous les jours et à donner de nombreuses conférences sur le sujet.

Je n’ai donc pas pu m’empêcher de préparer un blogue concernant la décision rendue lundi par la Cour d’appel du Québec dans la cause opposant la Ville de Saguenay et le maire Jean Tremblay à M. Alain Simoneau et au Mouvement Laïque Québécois (le « MLQ »). J’invite d’ailleurs ceux que ça intéresse d’aller lire le texte intégral disponible à l’adresse jugements.qc.ca (Saguenay (Ville de) c. Mouvement laïque québécois, 2013 QCCA 936).

Dans cette affaire, rappelons que le 9 février 2011, le Tribunal des droits de la personne et des droits de la jeunesse (le « TDPDJ ») avait déclaré inopérant le règlement adopté par la Ville prévoyant qu’au moment de l’ouverture de l’assemblée du conseil, les membres du conseil qui le désirent pouvaient se lever pour prononcer la prière traditionnelle dont le texte était reproduit au règlement. Il est à noter que le même règlement prévoyait que le président de l’assemblée déclarait la séance du conseil ouverte deux minutes après la fin de la récitation de la prière de façon à permettre aux membres du conseil et du public qui ne souhaitent pas assister à la récitation de la prière de ne pas prendre place dans la salle avant l’ouverture officielle de l’assemblée.

En plus de déclarer sans effet le règlement de la Ville, le TDPDJ avait ordonné à la Ville, aux membres du conseil, à ses officiers et à ses préposés de cesser de réciter la prière et avait ordonné de retirer de chacune des salles où se réunit le conseil tout symbole religieux, y compris une statue du Sacré-Cœur et un crucifix. Le TDPDJ avait finalement condamné solidairement la Ville de Saguenay et le maire Tremblay à verser à M. Simoneau une somme de 15 000 $ en dommages moraux et de 15 000$ à titre de dommages punitifs.

Dans sa décision, la Cour d’appel renverse l’ensemble des conclusions du TDPDJ. De fait, malgré ce qui a pu être mentionné dans certains médias, la Cour fait droit à l’ensemble des arguments du maire Tremblay et de la Ville de Saguenay et ce, bien qu’elle formule quelques remontrances à l’endroit du maire (voir ci-après).

La Cour d’appel énonce dans son jugement une série de principes qui m’apparaissent particulièrement intéressants. Dans un premier temps, la Cour s’attarde longuement quant à la portée de la liberté de religion vue à la fois sous l’angle dit positif (reconnaissance du droit de toute personne d’avoir des croyances religieuses et de les professer ouvertement) et négatif (interdiction d’imposer par la coercition ou la contrainte une restriction dans le choix d’agir selon sa conscience ou encore imposer un choix religieux). À cet égard, la Cour d’appel indique, aux paragraphes 64 et 65 de sa décision :

En l’absence d’un énoncé de principe officiel portant sur les valeurs que l’état entend protéger dans le cadre de son obligation de neutralité, il faut s’en tenir à la règle libérale selon laquelle un état neutre au plan religieux signifie essentiellement qu’aucune vue religieuse n’est imposée à ses citoyens, que son action gouvernementale sous toutes ses formes demeure à l’abri d’une influence de cette nature et qu’il en est véritablement ainsi. Cette finalité n’exige pas que la société doive être aseptisée de toute réalité confessionnelle, y compris celle qui relève de son histoire culturelle.

Poursuivant dans cette lignée, la Cour se dit d’avis que la laïcité intégrale ne fait pas partie des protections énumérées à la Charte.

La Cour s’attarde par la suite au texte de la prière qui se lisait comme suit :

Dieu tout puissant, nous Te remercions des nombreuses grâces que Tu as accordées à Saguenay et à ses citoyens, dont la liberté, les possibilités d’épanouissement et la paix. Guide-nous dans nos délibérations à titre de membre du conseil municipal et aide-nous à bien prendre conscience de nos devoirs et responsabilités. Accorde-nous la sagesse, les connaissances et la compréhension qui nous permettront de préserver les avantages dont jouit notre ville afin que tous puissent en profiter et que nous puissions prendre de sages décisions. Amen.

S’appuyant sur les témoignages des experts de la Ville et du maire Tremblay, la Cour se dit d’avis que la prière exprime des valeurs universelles qui ne sont pas reliées à une religion en particulier. Forte de cette constatation, la Cour se dit convaincue que « le principe de la neutralité religieuse de l’état vise à promouvoir la tolérance et l’ouverture à l’égard de la divergence et non à exclure de la réalité d’une société toute référence à son histoire, fut-elle religieuse. » (Voir paragraphe 106) On se croirait en plein débat sur la présence du crucifix à l’assemblée nationale!

Selon la Cour, il ne suffit pas d’alléguer une référence au patrimoine religieux pour conclure que l’obligation de neutralité de la Ville n’a pas été respectée. On ne peut non plus sérieusement prétendre, du fait que la Ville tienne une prière avant son assemblée du Conseil, que toute l’activité étatique de la Ville se fait sous l’influence religieuse.

Quant à la présence du crucifix et de la statue du Sacré-Coeur, la Cour d’appel conclut tout d’abord que le Tribunal n’avait pas compétence pour se prononcer sur cette question. Malgré tout, se prononçant sur cette question à l’invitation de monsieur Simoneau et du MLQ, la Cour se dit d’avis que ces deux signes religieux sont, pour une partie importante de la population, dépouillés de connotation religieuse et que leur présence relève surtout du patrimoine culturel historique et n’interfère en aucune façon avec la neutralité de la Ville. La simple présence de ces signes religieux ne signifie donc pas pour autant que la Ville est « en fait ou en apparence sous le joug de la religion catholique ou d’une quelconque autre forme de contrôle religieux ou encore qu’elle pratique un militantisme de cette nature. » (Voir paragraphe 126)

Sur la base de ces motifs, la Cour accueille l’appel de la Ville de Saguenay et du maire Tremblay et casse la décision du TDPDJ.

Cela dit, comme je le mentionnais précédemment, la Cour formule certaines remontrances à l’endroit du maire Tremblay. Pour éviter de les dénaturer, je me permets de les reproduire in extenso :

[149] (…) une cour de justice dûment saisie de cette question n’aurait pu demeurer insensible à certaines des manifestations publiques de ce dernier qui, à mon avis, contreviennent au devoir de réserve associé à une charge publique, risquant du coup, pour son détenteur, d’enfreindre la règle de neutralité applicable à l’appareil municipal.

[150] Je pense ici au signe de croix fait par M. le maire et aux paroles qui accompagnent ce geste. Manifestement, il s’agit d’une attitude engagée qui remet en cause, du moins en apparence, la neutralité religieuse de la Ville et de celle de ses représentants. Cette conduite constitue une adhésion publique indéniable au catholicisme.

[151] D’ailleurs, M. le maire, loin de s’en cacher, a réitéré devant le Tribunal une déclaration faite au média en ces termes : « Ce combat-là [référence au procès qui se tenait devant le Tribunal], je le fais parce que j’adore le Christ. […] Quand je vais arriver de l’autre bord, je vais pouvoir être un peu orgueilleux. Je vais pouvoir lui dire : « Je me suis battu pour vous ». Il n’y a pas de plus bel argument. C’est extraordinaire. »

[152] Voilà des propos et un comportement qui témoignent d’une absence de réserve élémentaire de la part de celui qui occupe une fonction élective et participe sur une base quotidienne à la gouvernance de la Ville. Il me semble tout à fait inconvenant que des fonctions prestigieuses puissent être utilisées aux fins de promouvoir ses propres convictions personnelles sur le plan religieux. D’ailleurs, personne n’a soutenu devant cette Cour que les électeurs de la Ville de Saguenay avaient choisi leurs représentants pour leur foi avouée dans une divinité quelconque.

[153] Chose certaine, on ne saurait reprocher à un citoyen qui croit aux valeurs fondamentales consacrées par la Charte de se sentir atteint par les attitudes et les déclarations d’un élu dont on s’attend à ce qu’il s’acquitte de son mandat sans avoir à afficher ses convictions religieuses. Sur le plan de l’image, on ne peut autrement convenir qu’il s’agit ici d’un échec.

On peut difficilement être en désaccord.

À la lecture de cette décision, on ne peut qu’avoir l’impression de revoir les échanges des dernières semaines sur la question de la Charte des « valeurs québécoises ». La conclusion claire à l’effet que la laïcité n’est pas protégée par les chartes de même que les principes entourant la prière et les signes religieux risquent fort de meubler la place publique au cours des débats qui s’annoncent chauds sur la question.

Reste à voir si monsieur Simoneau et le MLQ s’arrêteront là dans cette bataille judiciaire ou s’ils demanderont plutôt à la Cour suprême d’examiner la question. Une chose est certaine, nous n’avons pas fini d’entendre parler de ces questions.