Les petites victoires

Vous reconnaîtrez certes aujourd’hui un des mes thèmes fétiches au stade de l’autorisation d’un recours collectif: le choix judicieux de ses batailles. Je n’ai pas l’intention de m’éterniser sur la question parce que nous en avons souvent discuté ensemble, mais le reflexe de tout contester ou attaquer dans tous les cas est erroné. Il faut savoir choisir ses batailles. Si certains dossiers sont propres à une attaque sur tous les fronts au stade de l’autorisation, plusieurs autres ne le sont pas.

Une approche intéressante dans plusieurs cas est celle où l’on tente, au stade de l’autorisation du recours collectif, de faire retrancher certaines questions collectives (voir notre billet du 23 juillet 2012 sur la question). Mais, comme l’illustre la récente décision rendue par l’Honorable juge Claudine Roy dans Martin c. Société Telus Communications (2013 QCCS 2648), il est parfois également une excellente stratégie en défense de faire ajouter des questions collectives.

En effet, les questions collectives ne sont pas toujours des questions qui bénéficient à la demande. Il est parfaitement possible de demander à la Cour, si le moyen est commun à une partie substantielle du groupe, de traiter d’un moyen de défense de manière collective.

Dans l’affaire Martin, l’Intimée faisait valoir que le recours de la requérante en nullité d’une clause contractuelle était prescrit puisque la modification apportée à cette clause par l’Intimée avait été faite plus de trois ans avant le dépôt de la requête en autorisation. Selon la juge Roy, la question n’est pas assez claire pour être tranchée au stade de l’autorisation, mais elle est certes sérieuse et mérite d’être ajoutée aux questions à être traitées collectivement:

[32] Mme Martin dépose sa requête en autorisation d’exercer un recours collectif le 3 mai 2012. Elle demande que le recours vise les frais imposés, en raison d’un avis de modification, depuis le 3 mai 2009. Pour elle, la prescription commence à courir à partir de chaque mois où un frais est imposé à la suite d’un avis de modification. Elle s’appuie sur l’article 2931 C.c.Q. (« [l]orsque le contrat est à exécution successive, la prescription des paiements dus a lieu quoique les parties continuent d’exécuter l’une ou l’autre des obligations du contrat ») et sur deux jugements appliquant cette disposition[18].

[33] Telus prétend plutôt que le point de départ de la prescription n’est pas la date où des frais sont imposés, mais plutôt la date d’entrée en vigueur de la modification permettant d’imposer ces frais[19]. Elle suggère que les réclamations fondées sur des avis de modification antérieurs au 3 mai 2009 sont prescrites.

[34] Par exemple, les frais pour l’ensemble Affaires utilisé par Mme Martin augmentent de 2 $ par mois, à partir du 1er juillet 2008. Selon Telus, il s’agit du point de départ de la prescription et le recours ne pourrait viser cette augmentation parce qu’il n’a été intenté qu’en mai 2012, soit plus de trois ans plus tard. Mme Martin reconnaît qu’elle ne peut réclamer les frais facturés plus de trois ans avant l’institution de l’action (entre le 1er juillet 2008 et le 2 mai 2009), mais elle prétend que tous les frais, résultant de cet avis d’augmentation, facturés après le 3 mai 2009 peuvent être réclamés.

[35] Une question de prescription peut parfois être décidée au stade de l’autorisation, surtout lorsqu’elle n’implique que des principes de droit. Ici les parties n’ont pas présenté d’argumentaires suffisamment complets pour que la question soit décidée au stade de l’autorisation. Par exemple, elles n’ont pas discuté de la question de savoir si la prescription peut courir avant que le préjudice – l’imposition des frais – ne soit subi.

[36] Le Tribunal ajoute cette question aux questions à être traitées collectivement.

Bien sûr lorsqu’on agit en défense on préferait la plupart du temps voir la Cour accueillir dès ce stade nos arguments, mais le rajout de la question de la prescription comme question commune est une petite victoire qui pourrait rapporter gros plus tard. Il y a toutes sortes de manière de remporter un combat. Les KOs sont très satisfaisants, mais les victoires aux points sont toutes aussi valides…