Plus qu’hier, moins que demain

Tel que promis la semaine dernière, je reviens aujourd’hui sur l’affaire Theratechnologies inc. c. 121851 Canada inc. (2013 QCCA 1256) pour discuter de la décision de la Cour sur le fardeau qui pèse sur le requérant en autorisation dans le cadre d’un recours institué en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières.

En première instance, l’Honorable juge Marc-André Blanchard avait la tâche difficile d’être le premier à se prononcer sur le fardeau qui pèse sur la partie requérante puisqu’il s’agit de la première requête en autorisation déposée en vertu de cette loi. Le juge Blanchard en vient à la conclusion que le libellé de la loi impose un fardeau plus élévé que ne le fait le Code de procédure civile en prenant appui (avec raison selon moi) sur le fait que l’utilisation d’un vocabulaire différent par le législateur n’est pas une coïncidence. Or, si ce fardeau est plus élévé, il demeure moins exigeant qu’une analyse complète du fond de l’affaire. Il suffit pour la Cour que le recours ait une chance raisonnable de succès.

Au nom d’un banc unanime de la Cour, l’Honorable juge Clément Gascon indique que le cadre analytique adopté en première instance est exact, sauf pour quelques atténuations:

[106] Au paragraphe [72] de son jugement, le juge statue que, sous l’art. 225.4 LVM, l’analyse requise « ne peut constituer un procès dans le procès ». Il ajoute que, selon lui, il n’y a par contre pas d’« adéquation entre les critères découlant de l’article 1003 C.p.c. et celui de l’article 225.4 LVMQ ». Il estime que le critère de la « possibilité raisonnable d’avoir gain de cause de l’article 225.4 LVMQ requiert une démonstration plus concluante que celle découlant de l’application de l’article 1003 b) C.p.c. » (paragr. [78]). Il l’oppose, « dans une perspective relativiste » dit-il, à ce qu’il décrit comme la « démonstration « de minimis » du syllogisme juridique » à laquelle renvoie la jurisprudence en matière d’autorisation d’exercer un recours collectif (paragr. [79]).

[107] Pour l’essentiel, je partage son avis sur ce point. J’estime cependant nécessaire d’atténuer quelque peu certaines de ses affirmations.

[108] Dans un premier temps, il est exact d’affirmer que le critère de la « possibilité raisonnable [d’avoir] gain de cause » de l’art. 225.4 LVM est plus exigeant que celui de l’apparence de droit (« les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées ») de l’art. 1003 b) C.p.c. Ici encore, le choix d’une terminologie différente par le législateur québécois, pourtant bien conscient du mécanisme du recours collectif pour faire valoir le droit d’action prévu à ce nouveau régime de la LVM, est révélateur.

[…]

[118] J’en conclus que, si le critère de la possibilité raisonnable d’avoir gain de cause est plus exigeant que celui de la simple apparence de droit, il est cependant moins exigeant que le critère de la prépondérance de la preuve. Le législateur emploie d’ailleurs les mots « possibilité raisonnable » de gain de cause et non « probabilité raisonnable » de succès. Ce mécanisme de filtrage ne vise donc pas à écarter uniquement les recours en apparence frivoles ou sans fondement. Il tend aussi à écarter un recours qui, en définitive, n’a pas de chance raisonnable de succès.

[119] C’est là une expression que le législateur québécois emploie entre autres à l’art. 501 (4.1) C.p.c. que la Cour applique dans son analyse de requêtes visant le rejet préliminaire d’un appel qui ne présente « aucune chance raisonnable de succès ».

[120] Or, dans de tels cas, il suffit généralement de démontrer l’existence d’arguments cohérents et défendables juridiquement, et ce, même s’ils sont discutables ou contredisent les opinions admises, pour établir une chance raisonnable de succès. Il ne s’agit pas de transformer cette audience sommaire en un appel au fond accéléré[39].

[121] Selon moi, lorsque le législateur renvoie à un mécanisme d’autorisation sur la foi d’une possibilité raisonnable de gain de cause, il renvoie à une appréciation sommaire du droit d’action revendiqué. Le mécanisme d’autorisation d’un recours reste, après tout, une exception à la faculté d’un justiciable d’intenter une action. Il faut y donner une portée qui reflète la nature exceptionnelle du mécanisme.

[122] Aussi, dans un deuxième temps, il est juste d’affirmer que cette exigence plus élevée ne va pas jusqu’à imposer une analyse de la nature de celle que doit faire le juge du fond. À cette étape de l’autorisation, il ne s’agit pas de faire le procès avant le procès ou un mini-procès préalable à l’introduction de l’instance.

[…]

[131] Devant un fardeau plus exigeant que celui d’une simple démonstration, la preuve suffisante pour établir la possibilité raisonnable d’avoir gain de cause variera selon les circonstances. Elle devra par contre exister d’une certaine manière, que ce soit par le biais de déclarations assermentées, d’interrogatoires préalables, de pièces valablement produites ou autrement.

[132] En l’espèce, quoique le premier juge ait, à mon avis, référé erronément à une simple démonstration plutôt qu’à un fardeau de preuve, cela est sans réelle conséquence. En effet, bien que l’intimée ait étonnamment choisi de ne déposer aucune déclaration assermentée à l’appui de sa requête introductive d’instance amendée du 23 novembre 2010, il appert que l’affaire a tout de même procédé en tenant pour acquis que les pièces alléguées de part et d’autre (près de quarante) étaient admises et validement en preuve. De même, à titre de défendeurs, les appelants ont choisi de déposer deux déclarations assermentées de leurs témoins ainsi que leur interrogatoire avant défense du représentant de l’intimée, M. St-Germain. Ce dernier y a entre autres explicité la teneur des allégations centrales de la procédure de l’intimée sur le fondement de l’action en dommages intentée aux termes du nouveau régime prévu à la LVM.

Il sera très intéressant de voir quel impact ces enseignements auront sur le nombre de recours collectifs intentés en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières.