Un appel d’offres n’est pas une commission d’enquête

L’affaire retenant notre attention aujourd’hui fournit plusieurs précisions sur le degré d’analyse requis lors de l’évaluation des qualifications d’un soumissionnaire dans le cadre d’un appel d’offres.

Dans Construction CEG c. Corporation d’hébergement du Québec, la Cour supérieure était saisie d’une requête en dommages-intérêts venant de Construction C.E.G. Cette dernière avait déposé la deuxième meilleure soumission dans le cadre d’un appel d’offres lancé par Corporation d’hébergement du Québec (CHQ) et remporté par l’entreprise I.M.E. inc. (I.M.E.) pour un projet de construction au nord du 55eme parallèle. La réclamation découlait du fait qu’une des exigences de l’appel d’offres était que l’entrepreneur général retenu devait avoir déjà agit à titre d’entrepreneur général dans un projet d’envergure (supérieur à 1 000 000$) dans le nord du Québec. En effet, les documents d’appels d’offres contenaient la clause suivante:

Tout soumissionnaire doit satisfaire l’exigence de qualification et d’expérience suivante :

Le soumissionnaire doit démontrer qu’il possède de l’expérience en tant qu’entrepreneur général dans un projet d’une envergure de plus d’un million de dollars pour la construction neuve de bâtiment(s) selon les normes du Code de construction du Québec (CCQ)/Code national du bâtiment (CNB) dans la région du Nunavik, au nord du 55e parallèle.

Après une analyse rigoureuse des faits, le tribunal conclut que I.M.E. remplissait cette condition et était donc éligible pour recevoir ce contrat.

Ce qui est plus intéressant dans cette affaire est le commentaire que le juge fait sur le degré d’analyse requis par l’organisme public dans l’évaluation des soumissionnaires. En fait, ce dernier explique que même si I.M.E. n’avait pas été qualifiée pour remporter l’appel d’offres, la requête en dommages-intérêts n’aurait pas été accueillie parce que la CHQ a pris toute les dispositions raisonnables pour faire l’analyse requise.

Le tribunal fournit plusieurs indices sur la conduite à adopter dans ce type de situation. D’abord, étant donné que ni les représentants de la demanderesse, ni le chargé de projet ou les professionnels au dossier ne connaissaient I.M.E. comme entrepreneur général, il était justifié pour le contentieux d’entreprendre des vérifications. En fait, la cour va même plus loin:

[97] À partir du moment où les consultants s’interrogent sur la qualification et que la CHQ décide de la valider, celle-ci ne peut plaider qu’elle n’a aucune obligation. À notre avis, celle-ci est la même que celle soulevée par la dissidence de l’honorable Charron qu’elle exprime de la façon suivante:

[116] … L’obligation de n’accepter qu’une soumission conforme serait vide de sens si elle ne comportait pas l’obligation de prendre des mesures raisonnables pour s’assurer de la conformité de la soumission.

Or, les vérifications ne s’avèrent pas totalement concluantes. En effet, le contrat de cession qui est déterminant dans cette affaire est un contrat verbal, donc difficilement vérifiable et il n’y a pas de certification de fin des travaux.

Le juge énonce alors les trois principes qui doivent guider le donneur d’ouvrage lors de la vérification d’une clause de qualification:

  1. il doit traiter équitablement tous les soumissionnaires;
  2. il doit vérifier de bonne foi l’information;
  3. la vérification faite doit être diligente et raisonnable.

Le point 3 est particulièrement intéressant. En effet, l’obligation de l’organisme publique n’est pas de tenir une commission d’enquête sur le soumissionnaire, mais plutôt de faire ses vérifications comme une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances.

Dans le cas en l’espèce, l’organisme public a «vérifié la clause» d’une manière sérieuse et tenace, comme en témoigne la multitude d’appels effectués et de communications écrites échangées.

De plus, la Fédération des coopératives du Nouveau-Québec, un joueur connu et respecté dans la région, confirme à la CHQ que I.M.E. a déjà agit comme entrepreneur dans un de ses dossiers, avec bons de commande à l’appui. Il est donc vraisemblable de croire que cette information est fiable, même si certains documents sont manquants.

Le jugement se termine par trois paragraphes importants:

[113] On ne saurait contraindre toutes les villes, villages et corps publics du Québec à instituer un processus de vérification lourd et excessif qui dans le fond, alourdit un processus qui requiert célérité en raison des travaux requis la plupart du temps.

[114] On voit mal le fonctionnaire municipal ou un organisme public s’adjuger les compétences d’enquêteurs en matière judiciaire, comptable ou administrative pour statuer sur le résultat de sa vérification si celle-ci se fait de bonne foi, avec empressement et de façon proactive, il ne saurait y avoir de reproche.

[115] Rappelons que la règle des contrats publics veut un processus d’équité soumis aux règles du marché. Plus le marché est ouvert, meilleure sera l’offre. Or, le marché du Nord est fermé et sélectif. Ce sont tous les mêmes joueurs. En appliquant sa clause, la CHQ permet un nouveau joueur à moindre coût. Comme la vérification était adéquate et raisonnable, elle a joué son rôle.

Il est important de noter que le juge mentionne plus tôt dans son jugement qu’il rend cette décision notamment en raison du fait que la clause à l’étude n’est pas ambiguë et que cette clause commandait la vérification de la véracité d’une information plutôt qu’une évaluation discrétionnaire de pointage. Il s’agit d’une nuance importante à garder en tête…