Des intérêts qui coûtent cher à la caution

La décision Roch Lessard 2000 inc. c. Saint-Augustin (Municipalité de), 2013 QCCA 1606 a été rendue le 20 septembre dernier par la Cour d’appel du Québec. On y traite de quelques questions intéressantes et nous avons déjà discuté d’une entre elles dans un billet daté du 7 octobre. Nous ferons ici l’analyse d’une autre.

Rappelons d’abord les faits importants: un contrat pour un projet d’assainissement des eaux usées est octroyé à Roch Lessard 2000 (l’«Entrepreneur») par appel d’offres par la municipalité de Saint-Augustin (la «Municipalité»). Pour garantir l’exécution des travaux, l’Entrepreneur doit fournir un cautionnement d’exécution, soit La Compagnie d’assurance London Garantie, dont les obligations sont maintenant assumées par La Compagnie Travelers Garantie du Canada. La caution s’oblige donc solidairement à garantir l’exécution du contrat jusqu’à concurrence de 4 489 044$.

Or, l’exécution des travaux est laborieuse et le chantier accuse rapidement un retard et des dépassements de coûts. L’Entrepreneur avise éventuellement BPR Groupe Conseil S.E.N.C., les consultants de la Municipalité, qu’il entend exiger des suppléments occasionnés par des informations erronées apparaissant dans les documents d’appel d’offres. Les parties ne s’entendent pas sur le montant et l’Entrepreneur quitte éventuellement le chantier sans finir les travaux. Suite à l’envoi d’une mise en demeure, la Municipalité retire le contrat à l’Entrepreneur et fait réaliser les travaux suite à un autre appel d’offres.

La Municipalité poursuit donc l’Entrepreneur pour plus de 5 millions de dollars en dommages pour l’inexécution du contrat. Elle demande aussi que la caution soit condamnée à payer solidairement la limite de la garantie (4 489 044$), plus les intérêts et l’indemnité additionnelle à compter de juillet 2003. C’est d’ailleurs pour ce montant, plus intérêts, que la caution a été condamnée en première instance, duquel un montant sera déduit pour opérer compensation dans une autre partie de cette affaire.

Or, est-ce qu’on peut réellement exiger que la caution paie un montant plus grand que celui pour lequel elle s’est engagée, soit la limite de la caution + intérêts + indemnité? La Cour d’appel dit que oui, lorsqu’il s’agit des intérêts comme dans la situation présente. En effet, la Cour, sous la plume du juge Fournier, écrit ceci:

[113] Le montant de la condamnation prononcée contre la Caution ne va pas au-delà des limites de son cautionnement. Il s’élève à 4 287 206,90 $, soit en deçà de la limite du cautionnement fixé à 4 489 044,00 $. Les intérêts et l’indemnité additionnelle qui s’ajoutent à ce montant depuis la mise en demeure ne sont que la conséquence de la décision prise par la Caution de ne pas exécuter son obligation en temps opportun.

[114] Dès le moment de la mise en demeure, la Caution doit payer les montants réclamés et son retard à payer telles sommes fait naître son obligation de payer les dommages moratoires prévus à l’article 1617 C.c.Q. et les dommages additionnels prévus à l’article 1619 C.c.Q.

[115] La limite contractuelle est respectée et l’obligation est limitée. Dès lors, que la limite du cautionnement est atteinte ce n’est plus son engagement contractuel qui est source d’obligation, mais bien son retard à payer la somme due alors que requise de le faire par mise en demeure. [Nous soulignons]

À première vue, ça semble peut-être assez accessoire dans le jugement, mais l’intérêt calculé annuellement au taux légal de 5% sur dix ans représente un montant entre 2 et 3 MILLIONS! Il s’agit donc d’un point de droit assez important dans ce dossier, comme dans plusieurs autres.



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