Un « flip d’actifs » qui tourne mal

Dans mes deux premiers blogues sur Edilex.com en 2011, je vous ai parlé des « Flips d’actifs ». Allez, on commence 2014 en se citant soi-même à la troisième personne, avec cette grande humilité qui a fait la bonne réputation dont les disciples de Thémis sont si fiers :

« Pour ce premier blogue dans le domaine de la faillite et de l’insolvabilité, quoi de mieux que de vous entretenir du fameux « flip d’actifs » qui fait grincher des dents plus d’un prêteur ou fournisseur impayé, mais aussi les compétiteurs de l’entreprise insolvable. En effet, il n’est pas rare de voir une entreprise continuer en affaires, sans aucune interruption des opérations, avec les mêmes clients, les mêmes employés, les mêmes propriétaires, les mêmes locaux et souvent la même raison sociale accompagnée de l’année entre parenthèses, comme « Les Pavages Sans Soumissions (2011) Inc. ». Par contre, toutes les dettes seront larguées, avec les contrats onéreux et les employés ou place d’affaires superflus. La nouvelle entité n’aura plus de passifs et pourra donc continuer à couper les prix, au désespoir de ses compétiteurs. Pire encore, les fournisseurs impayés devront augmenter leurs prix pour récupérer de l’ensemble de leurs clients les pertes causées par l’auteur du flip. Mais pour en discuter, il faut y aller d’un petit exercice de vocabulaire pour voir ce qui se cache derrière les termes « faillite », « proposition », « concordat», « arrangement », « séquestre », « liquidation » et « vente d’entreprise » pour en arriver au subtil « flip ». »

Comme Gérard les Crêpes du Centre Eaton, on fait sauter l’entreprise dans la poêle d’un geste rapide et efficace. Après le flip, c’est tout nouveau tout beau. Mais parfois, on en échappe une qui s’écrase sur le plancher.

Voici la triste histoire vécue d’un flip d’actifs qui a mal tourné. Elle nous est racontée par la Cour d’appel dans l’arrêt Brizard c. McNicoll 2013 QCCA 2192. Brizard, McNicoll et deux autres avaient créé en 2007 la compagnie Crédit d’Auto Provincial Inc (« CAP ») qui obtenait une « deuxième chance au crédit » à des insolvables notoires pour leur permettre d’obtenir un prêt en vue d’acquérir un véhicule usagé selon le montant disponible. Les heureux élus étaient promptement dirigés vers Circuit Ford Lincoln (« Circuit ») qui versait une commission à CAP.

En 2008, les affaires vont mal, deux des actionnaires se retirent pour 1$. Ça donne une bonne idée de la valeur de l’entreprise. Circuit prête alors 40 000$ à CAP pour permettre la continuité des opérations car Circuit y trouve manifestement son compte. Brizard et McNicoll cautionnent le prêt solidairement.

En 2009, Circuit impose une nouvelle entente de commissions réduites à CAP, Brizard et McNicoll ne se parlent plus et Circuit joue un rôle important dans les opérations de CAP. Brizard quitte l’entreprise en avril 2009 et démissionne comme administrateur de CAP. Quelques mois plus tard, CAP fait faillite et McNicoll achète les actifs pour continuer les affaires avec Circuit. C’est McNicoll qui s’occupait du site web de CAP, manifestement l’actif de valeur pour l’entreprise, alors que Brizard était plutôt un vendeur.

Brizard poursuit McNicoll et Circuit pour son éviction. Circuit réclame tout le solde du prêt en demande reconventionnelle contre la caution Brizard.

L’Honorable Jean-Yves Lalonde de la Cour supérieure donne raison à Brizard pour 30 000$, mais accueille la demande reconventionnelle. La preuve des dommages réels est très déficiente. Toutes les parties vont en appel.

La Cour d’appel maintiendra la condamnation de McNicoll et Circuit sur une base solidaire pour avoir comploter l’éviction de Brizard, la faillite et la reprise des activités. Les dommages restent inchangés. Par contre, la Cour d’appel impose une fin de non-recevoir à la poursuite de Circuit contre la caution Brizard. La demande reconventionnelle est en conséquence rejetée.

Même si McNicoll et Circuit ont réussi à orchestrer le flip d’actifs, ils doivent donc dédommager Brizard. Cette conclusion peut sembler surprenante, surtout lorsque la Cour d’appel conclue que la vente par le syndic est une appropriation indirecte de l’actif  et clairement une forme d’abus :

« [56] Le juge a conclu que McNicoll et Circuit Ford ont manigancé l’évincement de Brizard. Cette manigance s’étend jusqu’à faire porter seul à ce dernier le poids d’une dette dont McNicoll est aussi le débiteur, dette qui n’a pu être payée par CAP, débitrice principale, en raison des agissements délibérés et déloyaux de Circuit Ford et de McNicoll lui-même, qui l’ont acculée à la faillite, puis se sont, directement et indirectement, appropriés le système qui était son actif distinctif. Il y a ici, clairement, une forme d’abus. »

 Or, la vente par un officier de la Cour peut difficilement être un abus si les règles ont été respectées. Normalement, la réponse aurait été de dire que Brizard n’avait qu’à soumettre une offre supérieure s’il croyait que les actifs valaient plus que le prix offert par McNicoll au syndic. Acheter les actifs d’un syndic de faillite ne devrait jamais être un élément constitutif de faute et de responsabilité.

 Cependant, l’arrêt doit être lu avec les limites factuelles constatées par le juge de première instance. En effet, c’est avant la faillite et donc avant la vente des actifs que les gestes fautifs ont été posés et les dommages causés à Brizard. En ce sens, on peut penser que l’arrêt aurait été le même si les actifs n’avaient pas été acquis par McNicoll.

La morale de cette histoire: il faut faire preuve de prudence dans ce genre de situation. Il est préférable de bénéficier de la protection accordée par la LFI plus tôt que plus tard afin que les gestes posés soient valides.