Oubliez les questions collectives
Le 5 mars 2012, dans un billet intitulé La goutte qui fait déborder le vase, je vous faisais part de mon désarroi face au dictum de la Cour d’appel à l’effet qu’une seule question collective, dans la mesure où elle n’est pas insignifiante, suffisait pour satisfaire au critère de l’article 1003 (a). Excellente nouvelle pour ceux qui croyaient que j’avais tort dans mon propos (et horrible nouvelle pour ceux qui étaient d’accord avec moi), la Cour suprême a récemment confirmé cette décision dans Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello ([2014] CSC 1).
Dans cette affaire, le requérant recherche, d’une part, l’annulation de la décision de l’intimée qui a modifié unilatéralement à la baisse le régime d’assurance maladie de ses employés et, d’autre part, le remboursement des coûts assumés par chaque employé en raison de cette modification. En première instance, la Cour supérieure a refusé d’autoriser le recours, citant, entre autres motifs, le fait que les questions individuelles sont trop excessives pour justifier l’autorisation du recours.
La Cour d’appel renverse cette décision, étant d’opinion que le recours aurait dû être autorisé. Sur la question de la prédominance des questions individuelles, la Cour s’éloigne de la jurisprudence prédominante et s’appuie plutôt sur la lignée qu’elle a adoptée dans une décision de 2011. Pour satisfaire au critère de l’article 1003 (a), il serait suffisant qu’il existe une seule question collective, dans la mesure où cette question n’est pas insignifiante.
Non seulement est-ce que les Honorables juges Lebel et Wagner confirment la décision de la Cour d’appel, ils descendent la barre encore plus basse en soulignant que ce sont les questions qui doivent être collectives et non pas les réponses:
[58] Un thème se dégage de la jurisprudence québécoise : les exigences du C.p.c. en matière de recours collectif sont souples. En conséquence, même si les circonstances varient d’un membre du groupe à l’autre, le recours collectif pourra être autorisé si certaines questions sont communes : Riendeau c. Compagnie de la Baie d’Hudson, 2000 CanLII 9262 (C.A. Qué.), par. 35; Comité d’environnement de la Baie, p. 659. Pour satisfaire au critère de la communauté de questions de l’al. 1003a) C.p.c., le requérant doit démontrer qu’un aspect du litige se prête à une décision collective et qu’une fois cet aspect décidé, les parties auront réglé une part non négligeable du litige : Harmegnies, par. 54; voir également Lallier c. Volkswagen Canada inc., 2007 QCCA 920, [2007] R.J.Q. 1490, par. 17-21; Del Guidice c. Honda Canada inc., 2007 QCCA 922, [2007] R.J.Q. 1496, par. 49; Kelly c. Communauté des Sœurs de la Charité de Québec, [1995] J.Q. no 3377 (QL), par. 33. Ainsi, la seule présence d’une question de droit ou de fait identique, connexe ou similaire suffit pour satisfaire au critère énoncé à l’al. 1003a) C.p.c. sauf si cette question ne joue qu’un rôle négligeable quant au sort du recours. Il n’est pas requis que la question permette une résolution complète du litige : Collectif de défense des droits de la Montérégie (CDDM), par. 22-23.
[59] Bref, il est permis de conclure que les questions communes n’appellent pas nécessairement des réponses communes. Au stade de l’autorisation, la procédure civile québécoise retient une conception souple du critère de la communauté de questions. En conséquence, le critère de l’al. 1003a) peut être respecté même si des réponses nuancées doivent être apportées, pour les divers membres du groupe, aux questions communes soulevées par le recours collectif.
Traduction: oubliez la multiplicité des questions individuelles, leur prédominance et, surtout, oubliez la proportionnalité. Pour être honnête, si seule une question doit être commune sans que la réponse le soit pour les membres du groupe, j’ai peine à imaginer quelque requête en autorisation qui ne rencontrerait pas le critère de l’article 1003 (a). Dans tout recours, une des questions est celle de savoir si la partie défenderesse a commis une faute envers les membres du groupe.
Ainsi, selon moi, le critère de l’article 1003 (a) ne veut essentiellement plus rien dire. Je laisse à chacun le soin de déterminer si c’est une bonne ou une mauvaise chose. En effet, il est bien possible que ce soit une manière efficace de promovoir l’objectif du législateur en matière de recours collectif.