Le franchiseur du réseau Tim Hortons condamné pour une soupe trop chaude

Dans un long jugement de 85 pages rendu jeudi dernier, le 6 février 2014 (que vous pouvez consulter en cliquant ici), la Cour supérieure du Québec a tenu Groupe T. D. L. ltée, le franchiseur du réseau Tim Hortons, responsable, solidairement avec l’un de ses franchisés, des dommages subis par une cliente de ce franchisé en raison de brûlures à la bouche causées par une crème de pommes de terre et bacon.

Malgré sa longueur, ce jugement ne comporte que quelques paragraphes (ceux numérotés [175] à [178] puis, vers la toute fin de ce jugement, ceux numérotés [423] à [426]) traitant de la responsabilité du franchiseur pour les dommages subis par la cliente de son franchisé.

Les faits de cette affaire sont relativement simples.

Le 4 août 1998 (hé oui, il y a plus de 15 ans), la demanderesse, Mme Lucie Laflamme, se rendait, pour une première fois selon elle, à un restaurant Tim Hortons où elle a commandé, pour consommation sur place, une crème de pommes de terre et bacon qui lui a été servie dans un bol en porcelaine. Selon son témoignage, dès qu’elle a mis la première cuillérée de cette soupe dans sa bouche, elle a eu l’impression d’avoir avalé du feu.

Près de trois ans plus ans, Mme Laflamme a intenté contre le franchisé exploitant ce restaurant Tim Hortons ainsi que contre Groupe T. D. L. ltée, le franchiseur de ce réseau, une poursuite qui, après quelques amendements, s’est élevée à 2 069 204, 91$ en invoquant que cet accident avait eu des conséquences énormes sur sa vie, dont une grave dépression.

L’ampleur de la réclamation de Mme Laflamme, les expertises requises pour la justifier et le nombre, ainsi que la complexité, des enjeux juridiques découlant de la nature de cette réclamation (notamment afin d’établir le lien entre la brûlure subie et les dommages réclamés) ont fait en sorte que le procès n’a été entendu que 13 ans et demi après l’accident, a nécessité 10 jours d’audition et a mené à ce jugement fort élaboré de 85 pages dont le résultat final a été une condamnation du franchisé et du franchiseur pour un montant de 69 454,59$ (comprenant les frais d’experts), plus les intérêts, la cliente ayant été par ailleurs tenue elle-même responsable pour 1/3 des dommages subis.

L’intérêt de ce jugement en matière de franchisage réside dans la condamnation du franchiseur, Groupe T. D. L. ltée, solidairement avec son franchisé, en parts égales entre eux, aux dommages subis par la cliente.

La Cour supérieure a conclu à la responsabilité du franchiseur pour les motifs suivants :

  • Parce que le franchiseur régissait tous les aspects de la production et du service des produits vendus (dont leur température) par le biais de ses manuels d’exploitation et de production;
  • Parce que le franchiseur faisait régulièrement des inspections sur place du restaurant franchisé dans lequel cet accident s’est produit;
  • Parce que le franchiseur contrôlait sa bannière et tentait de standardiser tous les aspects de la production et du service au sein de son réseau de franchises.

En fait, et ceci apparaît dans divers endroits tout au long de ce jugement, le tribunal a surtout reproché au franchiseur (a) d’avoir prescrit que la soupe soit servie à une température susceptible de causer des brûlures sans qu’un avertissement approprié n’en soit donné à la clientèle, (b) de ne pas avoir, lors de ses inspections sur place, suffisamment porté attention à la température à laquelle la soupe était réellement servie à la clientèle, et (c) de ne pas avoir, dès qu’informé de la plainte de cette cliente, obtenu et conservé la preuve de la température réelle de la soupe la journée de cet accident (notamment en ne demandant pas immédiatement au franchisé de lui transmettre le « Tableau de suivis des heures et températures » que celui-ci était tenu de compléter).

Il est donc probable que, comme cela est aujourd’hui le cas pour le café (suite au célèbre jugement rendu en 1994 aux États-Unis qui avait condamné le franchiseur McDonald’s Restaurants à payer à une cliente, Mme Stella Liebeck, des dommages totalisant 2 860 000$ en raison de brûlures subies par le renversement sur elle d’une tasse de café achetée au service à l’auto), les tasses et bols de soupe (surtout ceux servis dans des établissements de restauration rapide) porteront bientôt prochainement un avertissement à l’effet que le produit est très chaud et peut causer des brûlures.

Étant donné qu’il est vraisemblable que ce jugement sera porté en appel, par respect pour le processus judiciaire, je réserve mes commentaires sur les motifs pour lesquels le franchiseur a été tenu responsable des blessures subies par cette cliente jusqu’à ce que cette affaire soit terminée.

Par contre, ce jugement démontre fort bien l’importance de stipuler, dans une convention de franchise, des clauses complètes et adéquates en matière d’assurance ainsi que, pour un franchiseur, de s’assurer du respect de ces clauses et de faire un suivi régulier des assurances en vigueur (autant celles du franchiseur que celles de ses franchisés). Dans cette affaire, les assurances ont, sans l’ombre d’un doute, été d’une grande utilité, non pas tellement pour couvrir le montant des dommages que le franchiseur et son franchisé ont été condamnés à payer, mais pour les frais d’avocats et d’expertise qui ont dû être encourus pour y arriver.

Je vous invite à me contacter (par courrier électronique à jhgagnon@jeanhgagnon.com ou par téléphone au 514.931.2602) pour toute question ou tout commentaire.

Je demeure en tout temps à votre service si je puis vous être de quelque assistance que ce soit.

Jean

P.S. : Je tiens à remercier Me Karin Renno, du cabinet Irving Mitchell Kalichman, qui a porté ce jugement à mon attention sur son blogue juridique À bon droit (dont vous pouvez lire l’excellent billet sur ce jugement en cliquant ici).