Le recours en oppression et l’injonction interlocutoire

Récemment, la Cour supérieure devait déterminer si les agissements de deux des trois administrateurs d’une société justifiaient l’émission de plusieurs ordonnances provisoires, notamment une injonction interlocutoire, en vertu de l’article 241 de la Loi canadienne sur les sociétés par actions («LCSA»).

Rappelons que le recours en oppression prévu à l’article  241 LCSA permet à tout plaignant de demander le redressement d’une situation lui causant préjudice lorsque celle-ci résulte des agissements d’une société par actions. Plus précisément, ces agissements doivent correspondre à un abus de droit, une atteinte aux intérêts du plaignant ou à un mépris de ceux-ci. À ce titre, il est également possible pour le plaignant de demander une ordonnance provisoire visant à redresser une telle situation.

Dans cette affaire, le président, administrateur et actionnaire minoritaire d’une société (le «Demandeur») intente un recours en oppression contre l’actionnaire majoritaire et deux des administrateurs de cette dernière (les «Défendeurs»). Le Demandeur leur reproche d’avoir effectué des emprunts et procédé à des transferts de fonds sans autorisation. De plus, il estime avoir été mis à l’écart de la gestion de la société et privé d’accès aux informations financières la concernant.

Par sa requête en injonction interlocutoire, le Demandeur recherche les conclusions ci-dessous:

[24] Essentiellement, ces ordonnances visent à maintenir M. Boisvert [le Demandeur] dans son poste de président et d’employé d’Abak, à ne procéder à aucun transfert de fonds par virement bancaire, chèque ou autrement, d’Abak [la mise en cause] à Sirius [le Défendeur], en dehors du cours normal des opérations d’Abak, à faire en sorte que les informations relatives aux opérations bancaires d’Abak soient transmises de façon régulière à M. Boisvert, à donner accès au système informatique, dont le système comptable d’Abak et enfin, à faire en sorte que M. Boisvert soit le seul représentant autorisé à effectuer des transferts bancaires, à acquitter des factures d’Abak, en tant que responsable de la comptabilité de cette entreprise.  Il est aussi ordonné aux défendeurs de ne pas souscrire d’emprunt au nom d’Abak ou de ne pas donner en garantie ou en hypothèque quelque actif de cette entreprise.

Comme la Cour examine la question au stade interlocutoire, elle tient compte de trois critères, soit 1) l’apparence de droit; 2) le préjudice sérieux; et 3) la balance des inconvénients. Au terme de son analyse, elle accueille partiellement le recours du Demandeur, faisant notamment droit à sa demande d’injonction interlocutoire.

L’analyse de la Cour quant au critère de l’apparence de droit est particulièrement intéressante. En effet, elle est d’avis que les allégations d’emprunts et de transferts de fonds satisfont, à elles seules, ce premier critère :

[33] À première vue, ces seules allégations sont suffisantes pour conclure qu’il y a apparence de droit, le fardeau des demandeurs étant de démontrer à ce titre qu’il s’agit d’une question sérieuse à juger, par opposition à une réclamation futile ou quérulente.

[34] Certes, les défendeurs font valoir des moyens de défense à l’encontre de ces prétentions et donnent des explications, mais à ce stade-ci, le tribunal n’a pas à trancher ces questions de droit qui relèvent plutôt du mérite de l’affaire.  Son rôle est limité et le tribunal ne peut à cette étape résoudre les contradictions de la preuve ni trancher définitivement les questions de droit qui divisent les parties.

En ce qui concerne le critère du préjudice irréparable et la balance des inconvénients, la Cour est d’avis que les ordonnances provisoires demandées et le maintien du Demandeur dans son poste d’administrateur le mettraient à l’abri, à ce stade-ci, des dommages qu’il craint.

Il en ressort donc qu’au stade interlocutoire, des allégations de transferts de fonds et d’emprunts non autorisés suffisent pour démontrer que la situation vécue par le plaignant soulève des questions sérieuses à trancher et que le rejet de l’ordonnance à ce stade lui causerait un préjudice irréparable.