Réclamation des coûts indirects : le processus de demande de changement doit être observé

Le 10 avril dernier, la Cour d’appel rendait une décision concernant l’importance, pour l’entrepreneur, de respecter le processus de demande de changement prévu dans un contrat à forfait.

Cette affaire oppose Consortium M.R. Canada Ltée («Consortium») à la Commission scolaire de Laval («CSL»). Le litige à l’origine de cette poursuite découle de changements apportés à un contrat à forfait. Plus précisément, Consortium réclame les frais indirects de prolongation de chantier et de location de génératrice résultant d’un ordre de changement. Il allègue que, comme les parties ne se sont pas entendues sur un prix, il est justifié de réclamer ces frais additionnels. Ainsi, Consortium se pourvoit afin de faire passer la condamnation obtenue en sa faveur de 97 091 $ à 442 106 $.

Au terme de son analyse, la Cour rejette le pourvoi. Premièrement, elle rappelle que bien qu’aucune entente ne soit intervenue entre les parties en ce qui concerne les coûts indirects, ces dernières ont poursuivi l’exécution du contrat, et ce, malgré l’existence d’un différend entre elles. En effet, Consortium prévoyait négocier ces frais après coup, tandis que CSL était d’avis qu’ils faisaient partie du prix global convenu pour les travaux.

Deuxièmement, la Cour met l’accent sur le fait que Consortium ne s’est pas conformé à la procédure de demande de changement et de modification aux travaux et au prix prévue au contrat. En réitérant les principes applicables en matière de contrats à forfait et en s’appuyant sur les dispositions de l’entente intervenue entre les parties, la Cour se prononce comme suit :

[33]        La règle cardinale en matière de contrat à forfait est donc celle de l’immuabilité des obligations respectives des parties, sous réserve de l’application stricte des clauses permettant les modifications aux travaux et au prix. Or, à mon avis, Consortium a négligé cet aspect crucial du marché, ce qui emporte, pour elle, des conséquences funestes. Voici plus précisément de quoi il retourne.

[34]        En l’espèce, on le sait, aucun changement ne peut être apporté sans un ordre de changement, lequel doit lui-même être précédé d’une demande de changement. Or, que l’initiative du changement relève du donneur d’ouvrage ou de l’entrepreneur, la demande, elle, relève toujours de l’entrepreneur, puisque, dans tous les cas, il a l’obligation de proposer un prix :

44.       DEMANDE DE CHANGEMENT

            L’ordre de changement doit être précédé d’une demande de changement dûment approuvée par le Donneur d’ouvrage. Le prix soumis par l’Entrepreneur suite à la demande de changement est valide pour 45 jours.

            […]

[35]        La clause du contrat à l’étude traitant des modifications aux travaux et au prix prescrit une règle fondamentale : les changements aux travaux doivent, tout comme le contrat original, faire l’objet d’un marché à forfait :

46.       ÉVALUATION DES CHANGEMENTS AUX TRAVAUX

            La valeur de tout changement est déterminée suivant l’estimation, la négociation et l’acceptation d’une somme forfaitaire.

            […]

[36]        L’entente conclue entre Consortium et CSL met donc fermement l’accent sur l’acceptation d’une somme forfaitaire, ce qui implique la fixation d’un prix invariable découlant des changements devant être apportés. Il est clair que les parties, et plus particulièrement CSL, tiennent à éviter dans toute la mesure du possible les désagréables surprises découlant des dépassements de coûts. Voilà qui n’a rien d’étonnant, s’agissant ici de l’un des principes fondamentaux à l’origine du choix d’un marché à forfait.

De plus, en se penchant sur la détermination du prix soumis par Consortium, la Cour statue comme suit :

[59] […] la première méthode de fixation, celle du marché à forfait, doit impérativement s’appliquer, comme nous l’avons vu plus tôt. Par définition, le prix proposé par Consortium inclut tous les coûts indirects, y compris ceux reliés au délai d’exécution prolongé. […]

[60]        En conclusion, je suis d’avis que le contrat ne donnait pas ici à Consortium le droit de réclamer des coûts indirects a posteriori. Ce constat vaut tout autant lorsqu’il s’agit d’évaluer l’argument additionnel tiré des conditions posées unilatéralement par Consortium lors de la réception provisoire du projet. Cette réaction tardive ne saurait lui conférer de droits, toujours en raison de la facture du contrat à forfait la liant.

Ainsi, comme le prix proposé dans la demande de changement doit être fixé sous la forme d’un marché à forfait, le prix soumis par Consortium incluait les frais indirects de prolongation de chantier de même que la location de la génératrice. Il en ressort donc que Consortium ne pouvait réclamer ces frais ultérieurement en prétendant qu’ils restaient à négocier.