Récent jugement de la Cour d’appel en matière de faculté de dédit!

Dans un jugement récent portant sur la possibilité de se dédire d’une offre d’achat d’actifs, la Cour d’appel a donné raison à Pharmaprix inc. («Pharmaprix»), agissant en tant qu’intimée dans un litige l’opposant à deux pharmaciens et leur pharmacie (les «Appelants»). Au terme de son analyse, la Cour rejette le pourvoi, étant d’avis que le jugement de première instance ne comportait aucune erreur manifeste et dominante.

À la suite d’une période de négociations, Pharmaprix soumet une offre d’achat d’actifs aux Appelants. Par le biais de cette offre, Pharmaprix a l’intention d’effectuer un transfert des actifs des Appelants vers sa propre pharmacie, de façon à empêcher tout concurrent de s’y établir.

Les Appelants acceptent cette offre, et ce, tout en étant au fait des intentions de Pharmaprix. Suivant cette acceptation, Pharmaprix entame le processus de vérification diligente auquel l’offre est assujettie. Cet exercice comprend, entre autres choses, l’examen d’un bail intervenu entre les Appelants et leur locateur quant aux lieux occupés par la pharmacie faisant l’objet de l’offre. Pharmaprix remarque alors que le bail contient une «clause d’exploitation continue d’une pharmacie dans les lieux pour toute sa durée». Ce faisant, elle tente, en vain, de négocier avec le locateur afin de modifier le bail.

Au surplus, le locateur lui fait parvenir une mise en demeure indiquant son intention d’intenter des procédures judiciaires en cas de non-respect de la clause d’exploitation. Pour ces raisons, les parties n’ont pas procédé à la clôture de la transaction.

Malgré les démarches entreprises à la suite de ce refus, Pharmaprix ne parvient pas à régler la situation. Ainsi, à la reprise des négociations, Pharmaprix présente une offre dont le montant est inférieur à celui initialement prévu, ce qui donne lieu à une réclamation de la part des Appelants. Ces derniers reprochent à Pharmaprix de ne pas avoir respecté l’offre initiale et leur réclament la somme de 999 104$, représentant «la différence entre le prix de vente convenu à l’offre et le montant obtenu lors de la vente de la pharmacie à un tiers».

En appel, les Appelants invoquent que la juge de première instance a erré quant à l’interprétation à donner à l’offre d’achat d’actifs. Plus particulièrement, ils sont d’avis que deux des clauses prévues dans l’offre restreignent les modifications possibles «aux seuls changements requis pour permettre à l’intimée de gérer la Pharmacie comme les autres magasins du groupe». Or, la Cour d’appel rejette ce moyen et se prononce comme suit quant à la faculté de dédit dont bénéficiait Pharmaprix:

[18] L’article 6.1.5 accorde à l’intimée une discrétion de se retirer de la transaction à la condition que l’examen du Bail le justifie. Après l’avoir étudié, l’intimée se déclare non satisfaite de la clause d’exploitation continue en ce qu’elle ne lui permet pas de fermer la Pharmacie et de transférer ses actifs comme prévu. La juge de première instance conclut, à bon droit, que l’intimée pouvait dès lors se dédire et mettre fin à l’Offre. Une telle conclusion demeure à l’intérieur des situations envisagées par l’article 6.1.5 : « […] Les transactions prévues à la présente Offre seront conditionnelles à la satisfaction de [l’intimée], en sa seule discrétion, des résultats de ses examens et vérifications des Actifs de la Pharmacie, […] y compris, sans limitation, l’examen des modalités du Bail, […] ».

[19] Cette conclusion de la juge de première instance n’est pas non plus contraire à l’article 6.1.12 de l’Offre, qui n’a pas la portée que les appelants lui accordent. Cette disposition ne peut être lue en vase clos, mais doit être interprétée en tenant compte de l’article 6.1.5 et « […] en donnant à chacune le sens qui résulte de l’ensemble du contrat » (art. 1427 C.c.Q.). Lues conjointement, ces dispositions permettent à l’intimée, qui s’estimerait à bon droit insatisfaite du Bail selon la clause 6.1.5, de tenter de trouver une solution avec le Locateur et ainsi amender le Bail en conséquence, pourvu que les amendements n’engagent pas la responsabilité financière des appelants. C’est ainsi qu’il faut comprendre la dernière phrase de l’article 6.1.12. Celle-ci précise qu’aucun amendement convenu par l’intimée « […] n’affectera la durée ou les conditions monétaires du Bail ». Ainsi, le fait que l’article 6.1.12 circonscrive les amendements possibles ne peut limiter la possibilité pour l’intimée de convenir d’amendements au Bail avec le Locateur (sous réserve des conséquences de celles-ci sur les obligations financières des appelants) qui lui permettrait de s’en déclarer satisfaite selon l’article 6.1.5.

Ainsi, l’offre présentée par Pharmaprix comportait une faculté de dédit. En l’espèce, comme la clause d’exploitation incluse dans le bail l’empêchait de mener à terme le transfert d’actifs envisagé, Pharmaprix était en droit de se dédire.