Qu’en est-il de la transmissibilité des clauses de non-concurrence et de non-sollicitation?

Il est fréquent de rencontrer, notamment dans le contexte des transactions d’achat-vente d’entreprises, des clauses stipulant que le vendeur s’engage à ne pas solliciter la clientèle de l’acquéreur et à ne pas lui faire concurrence. De plus, il est souvent prévu, dans ce type de transactions, que les parties ne peuvent céder leurs droits à un tiers sans le consentement de leur cocontractant. Ainsi, la question de la transmissibilité des clauses de non-concurrence et de non-sollicitation mérite d’être éclaircie.

Dans une décision récente, la Cour supérieure devait se prononcer sur une requête en injonction interlocutoire par laquelle les sociétés demanderesses recherchent le respect des clauses de non-concurrence et de non-sollicitation prévues dans une convention de vente d’actions (la «Convention»).

La Convention est intervenue entre deux des sociétés demanderesses, soit 9277-4488 Québec inc. («9277») et 9230-6950 Québec inc. («9230»), et le défendeur Serge Beaulieu («Beaulieu»). Beaulieu était à la tête de la société 9230. Cette dernière oeuvre dans le domaine de la publicité et ses activités consistent principalement à distribuer, dans la région de Québec, des livrets publicitaires contenant, entre autres choses, des rabais destinés aux consommateurs. La société 9080-3875 Québec inc. («9080»), agissant elle aussi à titre de demanderesse, opère également dans le domaine de la publicité. Comme elle publie un livret de rabais commerciaux dans la même région que 9230, les deux sociétés se font concurrence. Ainsi, la Convention prévoit la vente de la totalité des actions que Beaulieu possède dans 9230 à 9277. Cette vente devait donc avoir pour effet d’éliminer la concurrence de 9080.

Les clauses de non-concurrence et de non-sollicitation de la Convention empêchent Beaulieu de solliciter le personnel et la clientèle de 9230 et 9277 et de leur faire concurrence. Il est également prévu que les droits résultant de la Convention ne peuvent être cédés sans le consentement du cocontractant.

Par la suite, 9230 a convenu de transférer, à 9080, ses actifs et ses droits résultant des clauses de non-concurrence et de non-sollicitation. Cette entente confère à 9080 le droit exclusif d’exercer des activités en lien avec la publicité.

De son côté, Beaulieu constitue une nouvelle société afin de mettre en marché une carte donnant accès à un site web promotionnel. Malgré les prétentions de Beaulieu selon lesquelles il n’agit pas en contravention à la Convention, les demanderesses sont d’avis que celui-ci agit en violation des clauses de non-concurrence et de non-sollicitation.

Après avoir examiné les positions respectives des parties, la Cour rejette la requête des demanderesses. C’est principalement l’analyse de la Cour quant à la transmissibilité des clauses de non-concurrence et de non-sollicitation à 9080 qui attire notre attention.

Les critères à satisfaire pour voir sa requête en injonction interlocutoire accueillie ne font aucun doute: la demanderesse doit démontrer une apparence de droit, un préjudice irréparable et démontrer que la prépondérance des inconvénients milite en sa faveur. D’entrée de jeu, l’apparence de droit nécessite que la demanderesse ait un intérêt suffisant, et ce, conformément à l’article 55 C.p.c. Or, 9080 échoue l’examen dès ce stade.

En effet, la Cour rappelle que 9080 est un tiers vis-à-vis la Convention, l’engagement de non-concurrence et de non-sollicitation étant uniquement intervenu entre Beaulieu, 9277 et 9230. Dans un premier temps, Beaulieu n’a jamais été informé de la cession entre 9230 et 9080. De plus, la Convention comporte une clause exigeant l’obtention du consentement du cocontractant pour céder les droits qui en découlent, ce qui n’a pas été fait en l’espèce. Ainsi, la Cour se prononce comme suit:

[76] […] le Tribunal est d’avis, à plus forte raison dans un cas comme le nôtre où les parties l’ont prévu expressément dans leur Convention, qu’on ne peut prétendre qu’une obligation contractée par une partie, par laquelle elle restreint sa liberté d’exercer une activité commerciale au bénéfice de son acheteur par une clause de non-concurrence et de non-sollicitation, puisse être transmise à une tierce entité corporative sans le consentement de l’obligé. Une clause de non-concurrence et de non-sollicitation crée pour son bénéficiaire un droit personnel et non réel.

Pour ces raisons, la Cour énonce que 9080 ne satisfait pas le critère de l’apparence de droit. Cette décision nous enseigne donc que les parties à une convention comportant des clauses de non-concurrence et de non-sollicitation doivent s’assurer que les droits découlant de ces dernières ont été valablement cédés si elles entendent les faire respecter.