Les soumissionnaires peuvent-ils attester de la conformité technique de leur soumission?

Dans une décision récente, la Cour d’appel s’est prononcée sur la validité, pour le donneur d’ordre, d’exiger que ce soit les soumissionnaires qui attestent de la conformité technique de leur soumission. Plus précisément, la Cour énonce que de leur exiger de vérifier la conformité à l’aide de fiches techniques, accompagnées d’une attestation et des résultats des essais effectués, ne porte pas atteinte au principe de l’égalité entre les soumissionnaires.

Dans cette décision, l’appelante («Orthofab») se pourvoit contre un jugement rejetant sa requête en injonction interlocutoire. Par sa demande, Orthofab veut qu’il soit ordonné à l’intimée (la «RAMQ») de suspendre son processus d’appel d’offres pour l’octroi de trois contrats d’approvisionnement en fauteuils roulants et bases de positionnement.

Le processus d’appel d’offres de la RAMQ avait déjà fait l’objet d’une suspension à la suite d’une ordonnance de la Cour supérieure en 2012. Or, la RAMQ a de nouveau publié trois appels d’offres concernant ces mêmes biens en 2013. Ces appels d’offres comportaient des règles différentes de la précédente. En raison de la requête d’Orthofab en injonction interlocutoire, le processus est suspendu.

Orthofab soutient que le principe de l’égalité entre les soumissionnaires et les exigences prévues par la Loi sur les contrats avec les organismes publics et le Règlement sur les contrats d’approvisionnement des organismes publics (le «Règlement») ne sont pas respectés. Dans un premier temps, elle invoque que la RAMQ ne demande pas aux soumissionnaires de lui fournir les documents nécessaires à la vérification de la conformité. Dans un deuxième temps, Orthofab est d’avis que la RAMQ «se refuse à toute analyse de conformité des produits soumissionnés», la plaçant ainsi dans l’impossibilité d’écarter les soumissions non conformes.

En première instance, la requête d’Orthofab a été rejetée au motif que la RAMQ n’a pas clairement enfreint la règlementation en s’en remettant aux soumissionnaires pour l’attestation de conformité. Ainsi, en raison de la clause privative de l’article 18 de la Loi sur la régie de l’assurance-maladie, la Cour supérieure ne pouvait accueillir la requête, faute de «violation claire de la Loi».

En appel, la Cour rejette le pourvoi. Les documents d’appel d’offres comportent une clause relative à la conformité aux exigences techniques. Celle-ci prévoit que si les renseignements indiqués dans les documents requis ne rencontrent pas les exigences techniques, la soumission sera rejetée pour non-conformité.

L’appel d’offres concerne plusieurs catégories de biens. Ce faisant, chacune d’entre elles possède une fiche technique «dans laquelle les soumissionnaires doivent inscrire les résultats obtenus aux essais et produire une attestation». Plus précisément, l’attestation doit indiquer que les quatre types d’exigences techniques prévues au devis sont respectés, soit les exigences particulières, de fabrication, spécifiques et documentaires.

La Cour est d’avis que les reproches d’Orthofab quant à la validité de cette façon de vérifier la conformité ne sont pas justifiés. En effet, le Règlement n’empêche d’aucune façon que la vérification soit effectuée à l’aide de fiches techniques et d’attestations des soumissionnaires. De plus, en appuyant ses propos sur la jurisprudence, la Cour réitère que le donneur d’ordre n’a pas «l’obligation implicite d’enquêter sur la véracité des déclarations des soumissionnaires».

En réponse à la prétention d’Orthofab selon laquelle les soumissionnaires pourraient faire de fausses déclarations quant à la conformité de leur soumission, la Cour se prononce comme suit :

[25]        La RAMQ est en droit de s’attendre à ce que les soumissionnaires respectent leurs engagements. D’ailleurs, les documents d’appel d’offres prévoient qu’elle peut procéder à des inspections afin de s’assurer du respect des obligations contractuelles et résilier tout contrat intervenu avec un soumissionnaire qui a présenté des renseignements faux ou trompeurs ou qui lui a fait de fausses représentations. Dans ce cas, la résiliation prend effet de plein droit à compter de la date de la réception de l’avis et le fournisseur devient responsable des dommages subis par la RAMQ du fait de la résiliation du contrat.

[26]        La RAMQ, comme tout donneur d’ouvrages, est soumise à deux grands principes lorsqu’elle lance un appel d’offres : 1) elle doit accepter une soumission conforme aux documents d’appel d’offres; et 2) elle a l’obligation de traiter tous les soumissionnaires équitablement.

[27]        La RAMQ estime que la vérification de la conformité au moyen de fiches techniques, incluant les résultats des essais et une attestation du soumissionnaire, est suffisante. Le juge a retenu la preuve selon laquelle aucun laboratoire au Canada n’est accrédité pour émettre des certifications de conformité à la norme ISO 7176 et que l’exigence d’une attestation de conformité par un ingénieur s’est avérée impraticable.

[28]        Par ailleurs et de la plus haute importance, la façon de procéder choisie par la RAMQ n’enfreint pas l’obligation de traiter tous les soumissionnaires équitablement. Tous sont sur un pied d’égalité et tous doivent jouer franc-jeu.

Il ressort donc de cette décision que le donneur d’ordre peut exiger que la vérification de la conformité aux exigences techniques soit effectuée par les soumissionnaires, et ce, sans porter atteinte au principe de l’égalité entre les soumissionnaires.