Recours en oppression: le requérant exerce-t-il son recours contre une filiale?

Les articles 238 à 241 de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA) portant sur le recours en oppression prévoient que celui-ci peut être intenté contre une société ou, le cas échéant, sa filiale. Or, le terme «filiale», tel que défini aux articles 2(2) et 2(3) de la LCSA, est sujet à interprétation.

Récemment, la Cour supérieure a dû déterminer si le sens du terme «filiale» était assez large pour inclure une société concurrente à celle dont le requérant est actionnaire ou dirigeant.

Faits

Cette affaire implique Abid Qureshi («Qureshi») et New Horizon International inc. («New Horizon») à titre de requérants et les défendeurs Abdel Eldin Conn («Conn») et Mackenzie Engineering Corp. («Mackenzie Corp.»).

Par son recours en oppression, Qureshi réclame la somme de 180 000$ pour pertes de salaire, ainsi qu’un montant représentant les pertes de profits en lien avec deux projets de construction. De son côté, New Horizon demande à la Cour d’ordonner aux défendeurs de racheter les 15 actions qu’il détient dans Mackenzie Engineering & Construction Inc. («Mackenzie Inc.»).

Initialement, le recours a été intenté contre Aty Abdel Abdin («Abdin»), Mackenzie Inc. et Nilcon Nile Contracting and Engineering Consultant («Nilcon»). Les requérants ont cependant intenté un nouveau recours contre Conn et Mackenzie Corp. puisqu’ils étaient incapables de faire exécuter le premier jugement.

Dans les faits, Abdin demande à Qureshi de constituer une société en vertu de la LCSA pour offrir des services d’ingénierie mécanique dans le cadre de projets de construction au Moyen-Orient. Qureshi incorpore donc Mackenzie Inc. En plus d’être administrateur de cette dernière, il a été convenu que Qureshi aurait droit à une allocation mensuelle de 4 500$ pour diriger Mackenzie Inc. Il est également prévu que Qureshi aurait droit à 25% des profits nets de la société et à 15% des profits de Nilcon, société dirigée par Mackenzie Inc.

Dans le cadre de ses fonctions, Qureshi a voyagé au Moyen-Orient afin d’entreprendre des négociations pour le compte de Mackenzie Inc. relativement à des appels d’offres en lien avec des projets de construction. Ces négociations se sont cependant avérées infructueuses.

De son côté, Conn décide d’investir dans Mackenzie Inc. afin que cette dernière soit en mesure de fournir des garanties de soumissions suffisantes. Or, Qureshi n’ayant pas été informé, il utilise cet investissent pour contracter une marge de crédit pour Mackenzie Inc. Conn a manifesté son désaccord à Abdin, ce qui a donné lieu au congédiement de Qureshi sans avertissement.

Abdin et Conn ont par la suite constitué Mackenzie Corp., une société poursuivant exactement les mêmes fins que Mackenzie Inc. Mackenzie Corp. a été en mesure d’être le soumissionnaire retenu pour les deux projets de construction précédemment convoités par Mackenzie Inc.

Recours

Qureshi et la société dans laquelle il investit, soit New Horizon, intentent d’abord un recours en oppression contre Abdin, Nilcon et Mackenzie Inc. Les parties arrivent à conclure un règlement pour la somme de 145 000$. De cette somme, les requérants réussissent seulement à obtenir 80 000$, donnant ainsi lieu à la poursuite contre Conn et Mackenzie Corp.

Questions en litige

La Cour devait se pencher sur plusieurs questions. Celle de savoir si les requérants peuvent se prévaloir du recours en oppression a particulièrement retenu notre attention.

Décision

À la lumière de son analyse, la Cour conclut que New Horizon et Qureshi peuvent intenter un recours en oppression contre Mackenzie Corp., et ce, bien qu’il ne s’agisse pas de la société dans laquelle New Horizon détient des actions et de celle étant dirigée par Qureshi.

La Cour explique d’entrée de jeu qu’un recours en oppression doit être intenté contre la société dans laquelle les requérants détiennent des actions, ou encore contre une filiale de cette société. Ce faisant, la Cour interprète le sens du terme «filiale» utilisé dans la LCSA, se prononçant comme suit:

[50] In the present case, Mr Abdin and Mr Conn together hold 85% of the shares of Mackenzie Inc. and 100% of the shares of Mackenzie Corp. The fact that Mr Conn is the majority shareholder in Mackenzie Corp. with 60%, and that Mr Abdin is the majority shareholder of Mackenzie Inc. with 70%, does not prevent the Court from concluding that Mackenzie Corp. is an affiliate of Mackenzie Inc.

[51] Indeed, together, the two shareholders control both entities. In fact, the evidence shows that they acted together with regard to the actions taken by Mackenzie Inc. and Mackenzie Corp.

[52] New Horizon, as a shareholder of Mackenzie Inc. can exercise an action in oppression against Mackenzie Corp. even though New Horizon is not a shareholder of that company.

La Cour arrive à la même conclusion à l’égard de Qureshi. En s’appuyant sur les motifs cités ci-haut, elle explique qu’en tant qu’ancien administrateur de Mackenzie Inc., Qureshi peut intenter un recours en oppression contre Conn et Mackenzie Corp.

Dans les deux cas, la Cour est d’avis qu’il y a eu oppression. En effet, comme New Horizon est actionnaire minoritaire de Mackenzie Inc., l’oppression réside dans le fait que Conn et Abdin ont utilisé Mackenzie Corp. pour les mêmes fins que celles poursuivies par Mackenzie Inc. Quant à Qureshi, il a été victime d’oppression en ce que Mackenzie Inc. a arrêté de lui verser son allocation et lui a enlevé la possibilité de bénéficier des profits nets découlant des projets de construction lorsque Mackenzie Corp. a vu le jour.