Réflexion sur le contingentement de la profession d’avocat

On parle beaucoup ces jours-ci de la situation de l’emploi chez les jeunes avocats. L’AJBM a d’ailleurs publié en février 2016 un rapport sur la situation qui a été fort médiatisé. Dans cette foulée, le Barreau du Québec a publié un communiqué sur son site web lundi pour prendre position sur certains des sujets chauds qui brûlent les lèvres de tout le monde suite à la publication du rapport de l’AJBM. Parmi ces sujets, deux sont particulièrement intéressants puisqu’à mon humble avis, ils vont main dans la main, soit le contingentement de la profession et l’innovation.

D’abord, à sa plus simple expression, le contexte actuel en est un de déséquilibre entre l’offre et la demande. En effet, selon cette théorie bien connue, l’offre et la demande pour un service vont augmenter ou baisser dans un marché afin d’atteindre un équilibre à un prix donné. Or, l’imposition de barrières à l’entrée pour les offrants peut avoir comme effet de modifier l’équilibre qui serait naturellement créé pour un certain bien ou service. Dans le cas des services juridiques, c’est la combinaison de la formation en droit et du permis d’exercice qui agit pour limiter l’offre et, historiquement, qui contribue à donner une perception (habituellement fort justifiée) que les services ont une haute valeur. Or, les fondements de ces barrières à l’entrée sont présentement ébranlés, notamment par les nouvelles technologies.

En effet, l’accès à l’information de nos jours est tel qu’une personne suffisamment débrouillarde et curieuse qui possède des bonnes bases peut trouver réponse à ses questions juridiques sur une multitude de sites web. Les bases de données de jurisprudence comme Canlii sont gratuites et plusieurs cabinets d’avocats traitent de sujets intéressants sur leurs blogues, sans compter les nombreuses publications gratuites en ligne. Un océan d’information est donc à notre portée si on connait les bons mots clés… Cette information est beaucoup moins structurée qu’une formation universitaire, mais dans plusieurs cas, ça peut faire le travail. La perception de valeur de la formation juridique comme barrière à l’entrée s’en voit donc diminuée.

Le permis d’exercice, quant à lui, est toujours aussi pertinent. Or, bien que la loi empêche un non avocat de donner des opinions juridiques, il n’empêche pas un non avocat de compléter certaines tâches qui sont présentement faites par des juristes, mais qui ne sont pas des actes réservés. Ces différentes opérations représentent un volume colossal d’heures facturées chaque année par les juristes à travers le pays. Ajoutez à ceci le fait que le nombre de permis d’exercice en circulation augmente organiquement à chaque année, que des gens à l’étranger et de plus en plus de logiciels peuvent répliquer l’exécution de certaines tâches à moindre coût et nous avons une situation qui modifie complètement l’équilibre entre l’offre et la demande établi précédemment. On retrouve d’ailleurs une situation similaire (mais tout de même fort différente) dans l’industrie du taxi…

Le contingentement

Comme piste de solution, on soumet que le contingentement pourrait aider à équilibrer les forces en présence, surtout si on considère que certains examens du Barreau ailleurs ont des taux de passage pas mal plus bas que celui du Québec (environ 80%)…

Or, le contingentement pose plusieurs problèmes du point de vue des facultés de droit, du Barreau et même pour les membres. Mais oublions tout ça. En tant qu’observateur un peu nerd, voici mon problème avec le contingentement:

  1. on est présentement dans une période de rééquilibrage de l’offre et la demande qui survient à cause de changements aux barrières à l’entrée dans l’industrie;
  2. on demande un ajustement des barrières à l’entrée face à la réalité que nous connaissons aujourd’hui;
  3. la réalité de demain sera assurément différente et on peut se douter que l’efficacité des barrières à l’entrée va changer sans cesse dans les prochaines années;
  4. une modification comme le contingentement a un impact uniquement sur le moyen-long terme;
  5. le contingentement tel qu’envisagé pourrait ne plus être pertinent dans 5 ans si, par exemple, l’intelligence artificielle est capable de résoudre une quantité énorme de problèmes juridiques à ce moment.

C’est donc loin d’être simple comme décision…

L’innovation

Il faut se le dire, c’est difficile d’innover dans la profession juridique, particulièrement au Québec, où nous avons un régime juridique plutôt différent du reste de l’Amérique du Nord, ce qui freine la mise à l’échelle du contenu créé par nos juristes. Les grandes innovations sont donc assez longues à développer, surtout dans un contexte où les incitatifs à le faire semblent encore flous ou distants.

À mon humble avis, nos institutions d’enseignement doivent ici prendre le relais pour bâtir un climat propice à l’innovation dans un environnement à faible risque. Pour se faire, ils devront probablement bâtir une série d’événements, de cours ou de concours en parallèle à une structure d’incitatifs permettant de marier l’expertise professionnelle de praticiens avec l’enthousiasme d’étudiant(e)s qui amènent des idées nouvelles et un vent de renouveau sur la profession. C’est pas mal la clé du succès.

D’ailleurs, l’AJBM recommande qu’une formation en gestion soit offerte aux étudiants des facultés de droit. Pas une vilaine idée, mais il faudra probablement en faire plus pour réellement cultiver l’innovation dans nos facultés.