Les séquestres et le non-dit

On dit et on écrit beaucoup de choses dans le Merveilleux Monde de l’Insolvabilité©. Mais parfois, il faut s’attarder au non-dit. Tous mes fidèles lecteurs et lectrices marié(e)s ou accoté(e)s vous diront que le « non-dit » est autrement plus important que le « dit ».

Par exemple, à la question « As-tu passé une bonne journée? », la réponse dite « Oui. » n’est pas la vraie réponse. Trop court jeune homme, comme dirait Cyrano. C’est même très louche. Est-ce que le non-dit de ce « Oui » veut dire « Pas vraiment, journée ordinaire et tel collègue me fait suer. » ou, pire encore, veut-il dire « Oui, excellente journée, dossiers intéressants et en plus le juge m’a écouté jusqu’à la fin, mais par ailleurs j’ai changé ma coiffure et tu n’as pas remarqué, alors, je boude. »

On voit donc que quand il y a du non-dit, il faut être très prudent.

Comme vous vous en doutez certainement, cette courte introduction m’amène en toute logique à vous parler du certificat du ministre, lequel doit être obtenu avant de procéder à la distribution des biens d’une société ou lorsqu’une personne agit à titre de « représentant légal ». Il faut faire preuve de beaucoup de prudence avec le non-dit de quelques décisions récentes sur le sujet.

Les syndics qui agissent comme séquestre risquent de tomber sous les crocs de ce conjoint autrement plus agressif, s’ils n’obtiennent pas son certificat en certaines circonstances.

En général, les lois fiscales prévoient que les administrateurs et les liquidateurs ou séquestres seront personnellement responsables des dettes de la société qu’ils contrôlent, s’ils en liquident et distribuent les biens sans obtenir au préalable un certificat du ministre. Ce certificat ne sera normalement émis que si les dettes fiscales de la société ont été acquittées en entier.

Par exception, le syndic de faillite n’est pas visé par cette obligation. Est-ce que l’exception vise tous les syndics, dans toutes les circonstances?

Rien n’est moins sûr. Si le syndic de faillite qui agit dans une cession de biens n’est clairement pas visé, le même syndic de faillite qui agit comme liquidateur de la succession d’un parent sera certainement visé.

Trois décisions méritent une analyse. La première, rendue le 8 juillet 2015 par l’honorable Danielle Turcotte de la Cour supérieure dans le dossier 9210-6905 Québec Inc décide, sur requête pour directives, que le syndic qui agit comme séquestre intérimaire et distribue le produit de vente des biens de la débitrice, dans le cadre d’un avis d’intention, n’a pas à obtenir le certificat du ministre du revenu du Canada en vertu du paragraphe 159(2) de la Loi de l’Impôt sur le revenu.  Or, les autorités fiscales avaient des réclamations ordinaires contre la débitrice. La Cour analyse le rôle du séquestre intérimaire et écrit :

« [26] (…) La Cour supérieure a compétence pour déclarer que le mot « syndic de faillite » utilisé à l’article 159(2) LIR, inclut un syndic nommé pour agir ès qualités de séquestre intérimaire, en vertu de l’article 47 (1) LFI. » (notre soulignement)

Or, ces derniers mots ne sont pas reproduits dans les conclusions, un non-dit qui est un non-écrit et que certains ont  interprété comme une conclusion qui s’applique à tous les séquestres intérimaires, en toutes circonstances. Selon moi, ce n’est pas le cas.

Les autres décisions proviennent du dossier Congiu, dans lequel la Cour d’appel du Québec et la Cour d’appel fédérale se sont prononcées respectivement sur des réclamations de TVQ et de TPS contre l’administratrice d’une compagnie en proposition. La Cour suprême du Canada a refusé les autorisations de pourvoi.

La compagnie a procédé à une distribution substantielle à une société liée à son actionnaire et à l’administratrice, pendant la proposition, mais a fait faillite sans l’exécuter intégralement. Les faits remontaient à plus de dix ans lors de l’audition des appels. Congiu plaidait que les dispositions provinciales et fédérales sur les certificats du ministre ne s’appliquaient pas en cas de proposition.

Les Cour d’appel ont partagé le point de vue du juge de première instance :

« [ 42] La proposition concordataire de [Canada inc.] a peut-être eu l’effet de reporter dans le temps l’exigibilité de la dette de celle-ci, mais pas de l’éliminer. Au surplus, le défaut d’avoir honoré les paiements prévus à la proposition a entraîné l’annulation de celle-ci et la faillite de [Canada inc.]. La dette de [Canada inc.] envers le fisc demeurait entière et [Mme Congiu] devait, avant de liquider l’ensemble des actifs, transmettre un avis à [l’Agence du Revenu du Québec] et obtenir un certificat. Elle n’a pas respecté cette obligation, a contrevenu à l’article 14 LAF, ce qui engage sa responsabilité de même que celle de QUÉBEC INC. »

La Cour d’appel du Québec écrit aussi, dans une simple note de bas de page :

« [14]    Il pourrait être des cas où le concordat confie l’administration des biens au syndic ou en prévoit la liquidation par lui. Le syndic échapperait alors à l’article 14, vu l’exception qui y figure expressément. Ce n’est toutefois pas le cas en l’espèce, le concordat ne prévoyant rien à ce sujet (et ne prévoyant pas non plus que le fisc renonce à user de l’article 14, si une telle renonciation était envisageable). »

Pourtant, le syndic de faillite n’agit pas alors à ce titre dans une proposition.

Jusqu’à ce que les tribunaux se soient prononcés sur les diverses situations impliquant un syndic, je crois qu’il serait prudent de considérer que seul le syndic qui agit dans le cadre d’une situation à laquelle l’ordre de collocation de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité s’applique n’est pas tenu d’obtenir les certificats. En effet les décisions ci-dessus traitent du syndic qui agit comme séquestre intérimaire ou comme syndic à la proposition, dans des circonstances où l’ordre de collocation de la LFI s’applique. Par contre, rien dans ces décisions n’indique qu’un séquestre intérimaire agissant en vertu du paragraphe 47(1) LFI bénéficierait de l’exemption, si aucune procédure collective d’insolvabilité n’est déposée. L’ordre de collocation du Code civil et les fiducies réputées des lois fiscales sont alors pleinement efficaces. Il en est de même pour le contrôleur sous la LACC si on lui confie des pouvoirs sur les biens.

Je vous dit donc : « Bonne journée ».