Loi 155 et soumissions équivalentes : prudence dans la rédaction de vos devis techniques

Les tribunaux québécois ont confirmé à plusieurs reprises qu’une municipalité dispose d’une discrétion importante pour fixer les spécifications d’un bien ou d’un service recherché dans le cadre d’un appel d’offres[1]. Cette grande liberté dans la description de ses besoins lui permet, par exemple, de demander un bien d’une marque particulière. Les tribunaux ont cependant fixé certaines règles visant à encadrer le pouvoir de la municipalité de décrire le bien ou le service recherché. D’une part, la municipalité doit s’assurer que les exigences qu’elle impose ne réduisent pas la concurrence de manière trop significative ou ne l’éliminent pas complètement, car son appel d’offres pourrait alors être qualifié de « dirigé ». D’autre part, elle doit être en mesure de démontrer que le respect des exigences imposées est nécessaire afin de répondre à ses besoins. Autrement dit, elle doit pouvoir établir un lien rationnel entre ses exigences et le besoin recherché par son appel d’offres.

L’entrée en vigueur, le 19 avril dernier, de la loi 155 a cependant eu pour effet d’ajouter une restriction importante au pouvoir d’une municipalité de fixer les spécifications d’un bien ou d’un service recherché. En effet, une nouvelle disposition[2]introduite par la loi 155 prévoit que, lorsqu’une municipalité impose certaines spécifications techniques concernant un bien ou un service, elle doit les décrire « en termes de performance ou d’exigence fonctionnelle plutôt qu’en termes de caractéristiques descriptives ».

La loi 155 privilégie donc la rédaction de devis « de performance », qui précisent uniquement les résultats attendus et laissent aux soumissionnaires le choix des moyens pour les atteindre, par opposition à des devis strictement « techniques », qui énumèrent dans le détail les différentes caractéristiques descriptives du bien ou du service recherché. Alternativement, la municipalité peut décrire son besoin en termes « d’exigence fonctionnelle ». Cette expression n’est pas définie dans la loi 155, mais semble viser le scénario dans lequel la municipalité ne peut pas, de manière réaliste, accepter un bien ou un service autre que celui employé dans le passé, en raison de différentes contraintes. Par exemple, une municipalité qui émet un appel d’offres visant l’acquisition de véhicules pourrait exiger que les véhicules soient d’une marque précise si elle dispose d’un inventaire de pièces compatibles avec des véhicules de cette marque seulement et souhaite maintenir la garantie après-vente en place. Une telle interprétation de l’expression « exigence fonctionnelle » permet de maintenir l’approche des tribunaux québécois à l’effet qu’une municipalité peut cibler un bien ou un service précis s’il existe un lien rationnel entre ses exigences et le contexte de son appel d’offres.

Dans l’éventualité où une municipalité n’est pas en mesure de définir son besoin en termes de performance ou d’exigence fonctionnelle, elle peut indiquer aux documents d’appel d’offres une liste des caractéristiques descriptives du bien ou du service recherché, mais est dans l’obligation de considérer conforme une proposition d’un soumissionnaire qui est équivalente à ces caractéristiques. Dans un tel cas, il demeure cependant de la responsabilité du soumissionnaire de se conformer au processus prescrit par la municipalité pour la démonstration de l’équivalence[3].

Nous attirons donc votre attention sur cette nouvelle règle et sur l’importance d’en tenir compte dès maintenant étant donné qu’elle est en vigueur depuis le 19 avril 2018.

L’équipe Edilex demeure disponible pour toute information à ce sujet.


[1]Descimco inc. c. St-Hyacinthe (Ville de), 2013 QCCS 1150.

[2]Loi sur les cités et villes, RLRQ, c. C-19, article 573.1.0.14 ; Code municipal du Québec, RLRQ, c. C-27.1, article 936.0.14.

[3]Distribution Jean Blanchard inc. c. Régie de gestion des matières résiduelles de Manicouagan, 2016 QCCS 4417.