Technologies juridiques : un jugement prometteur
Le 28 août dernier, la Cour d’appel du Québec a rendu un jugement important qui touche à la fois le droit disciplinaire et l’univers des technologies juridiques[1].
Faits
Dans cette affaire, la Cour d’appel a analysé les services offerts par certaines compagnies d’assurance pour déterminer si, comme l’alléguaient le Barreau du Québec et la Chambre des notaires du Québec, ces services constituaient des actes du ressort exclusif des avocats et des notaires. En plus d’émettre des polices d’assurance, les compagnies d’assurance offraient aux institutions financières certains services accessoires de gestion des prêts hypothécaires, tels que la préparation d’actes d’hypothèque. Pour produire ces actes, les compagnies d’assurance utilisaient un outil informatique qui fusionnait de façon automatisée certains formulaires standard aux renseignements précis liés à la transaction.
La Cour d’appel du Québec a tranché en faveur des compagnies d’assurance, jugeant que les services offerts n’étaient pas du ressort exclusif des avocats et des notaires. Une analyse plus approfondie de son raisonnement est disponible dans un billet distinct.
Outil informatique
La Cour a par ailleurs fait plusieurs commentaires au sujet de l’outil informatique employé par les compagnies d’assurance.
Elle a tout d’abord souligné que l’outil permettait d’intégrer dans les formulaires standard les informations spécifiques à la transaction, telles que le nom de l’individu, l’adresse de l’immeuble, le montant garanti par hypothèque etc. L’outil permettait donc de remplir de façon automatisée les champs dans ces formulaires.
À ce sujet, la Cour a écrit que « […] ce n’est certainement pas l’inscription des informations portant sur les parties, l’immeuble et les conditions du prêt dans ces modèles ou formulaires qui constitue la tâche réservée par le législateur aux avocats et aux notaires […] » étant donné que ces tâches sont de nature administrative et sont généralement complétées par des employés de bureau plutôt que par des juristes. Selon la Cour, bien que les règles prévues à la Loi sur le Barreau et à la Loi sur le notariat visent à assurer la protection du public, le législateur n’avait certainement pas pour objectif de « […] réserver des tâches de bureau à ces professionnels […] ».
La Cour a aussi mis l’accent sur le fait que les formulaires standard étaient des contrats types, rédigés par des avocats et des notaires œuvrant auprès des institutions financières. Ce n’était donc pas la rédaction des actes sur la base des formulaires standard qui était en cause, mais plutôt l’inscription d’informations spécifiques additionnelles au moment de l’opération de fusion des formulaires standard et des renseignements liés à la transaction.
Analyse
Ces commentaires apportent un éclairage intéressant sur la place des technologies dans la pratique du droit.
En effet, la Cour d’appel confirme qu’une partie du travail traditionnellement complété par un avocat ou un notaire ou même par une personne non juriste pourrait, dans le futur, être automatisée. L’avocat et le notaire pourraient donc se limiter à valider le résultat final et à y apporter des correctifs au besoin, conformément à l’objectif de protection du public prévu à la loi. Cette manière de procéder aurait par ailleurs un avantage pour les professionnels, qui pourraient se concentrer sur des prestations de services à forte plus-value juridique. Les tâches à non-valeur ajoutée pourraient leur être retirées afin d’être automatisées, ce qui entraînerait incidemment une augmentation de la productivité dans l’organisation.
Le commentaire de la Cour relativement aux processus précis suivis par les institutions financières et les compagnies d’assurance est également intéressant. Elle a en effet écrit que le fait d’utiliser des formulaires standardisés rédigés par des juristes, dans lesquels étaient intégrées les informations spécifiques à la transaction, puis de faire valider le tout par un juriste, répondait à l’objectif de protection du public. Dans le contexte d’un bureau d’avocats, on peut donc penser que l’objectif de protection du public serait atteint si, d’une part, une automatisation standardisée du contenu contractuel permet d’assurer une plus grande sécurité juridique et, d’autre part, une validation finale par un juriste permet d’apporter une plus-value au contenu contractuel grâce à l’expertise précise de celui-ci.
On observe déjà une révolution technologique entraînant une redéfinition des tâches dans le milieu juridique. Edilex constitue un bon exemple de cette nouvelle tendance, par son offre de services qui inclut des solutions web d’automatisation de rédaction contractuelle. Dans cette optique, le jugement de la Cour d’appel du Québec va très certainement contribuer à accentuer ce mouvement.
[1]Chambre des notaires du Québec c. Compagnie d’assurances FCT ltée, 2018 QCCA 1362.