Un mode d’adjudication peu utilisé par les municipalités et les sociétés de transport en commun : le système de pondération avec discussions et négociations
Dans le domaine des appels d’offres municipaux, un mode d’adjudication particulier est offert depuis fin 2011 à toute municipalité régie par la LCV ou le CM, et depuis juin 2017 à toute société de transport en commun régie par la LSTC; il demeure rarement utilisé. Il s’agit du système de pondération avec discussions et négociations[1]. Un tel mode d’adjudication est limité au processus d’évaluation qualitative des offres à une enveloppe, dans lequel le prix est considéré parmi tous les autres critères objectifs de pondération.
Les Lois municipales[2] prévoient la possibilité pour une municipalité ou une société de transport en commun (ci-après le « Donneur d’ordre »), dans une première étape, d’entrer en discussions individuellement avec chaque soumissionnaire et, dans une deuxième étape, de négocier avec le soumissionnaire conforme ayant obtenu le meilleur pointage lors de l’évaluation des offres.
Ce mode d’adjudication a d’abord été introduit en 2011 pour les municipalités régies par la LCV ou le CM et il se limitait à certains contrats particuliers[3], lesquels étaient davantage des contrats générant des revenus d’exploitation. Dans le cadre du projet d’amphithéâtre multifonctionnel de la Ville de Québec[4], le législateur a voulu rendre accessible à toutes les municipalités régies par la LCV ou le CM une telle possibilité de discussions et négociations pour certains projets particuliers, notamment l’exploitation d’une infrastructure municipale par un tiers. L’idée était de mettre en concurrence les soumissionnaires, afin d’obtenir le meilleur revenu et les meilleures options possibles. Depuis le 16 juin 2017, date d’entrée en vigueur de la loi 122[5], ce mode d’adjudication a été élargi pour les municipalités régies par la LCV ou le CM, à tous les types de contrats, peu importe le montant de la dépense qu’ils comportent. De plus, la Loi 122 a introduit ce mode d’adjudication pour les sociétés de transport en commun régies par la LSTC.
Le système de pondération avec discussions et négociations est donc complémentaire au régime de base déjà en vigueur régissant les appels d’offres municipaux, et il ne constitue pas une dérogation au règlement sur la gestion contractuelle du Donneur d’ordre[6]. Enfin, ce mode d’adjudication demeure facultatif et figure parmi les quatre modes possibles en vertu des Lois municipales[7]. Ce mode d’adjudication est basé sur un système de pondération des offres à une seule enveloppe, qui a lieu en deux étapes, lequel peut être précédé d’un appel de qualification.
A. Appel de qualification (Étape préliminaire)
Préalablement à la première étape de l’appel d’offres, il est possible de procéder par voie d’appel de qualification. Si cet appel de qualification fixe un nombre maximal de soumissionnaires retenus pour passer à la première étape, soit la demande de soumissions (Étape 1), ce nombre ne peut être inférieur à trois (3)[8]. Noter que cette étape préliminaire est facultative.
B. Demande de soumissions (Étape 1)
Lorsque le Donneur d’ordre a recours à ce mode d’adjudication, il doit d’abord effectuer une demande de soumissions lors de la première étape.
Contenu obligatoire
Cette demande de soumissionsdoit respecter un contenu obligatoire : elle doit d’une part préciser les modalités de ce mode d’adjudication (avec discussions et négociations), et d’autre part dévoiler la grille d’évaluation que le comité de sélection utilisera lors de l’évaluation des soumissions finales dans la deuxième étape de l’appel d’offres. La grille d’évaluation doit inclure outre le prix, des critères objectifs directement reliés au marché tels que notamment qualité/quantité des biens, modalités de livraison, services d’entretien, expérience. On peut constater que ce mode d’adjudication offre au Donneur d’ordre, une grande latitude dans l’établissement des critères d’évaluation, leur nombre et le processus d’évaluation des offres.
Dans les cas où le Donneur d’ordre souhaite offrir une compensation financière aux soumissionnaires non-retenus par le comité de sélection (Étape 2), il doit obtenir, préalablement à l’Étape 1, l’autorisation du Ministre des Affaires municipales et de l’Habitation (MAMH). Ce dernier peut accorder son autorisation au conseil[9] : la demande de soumissions (Étape 1) doit alors prévoir le versement de cette compensation financière et les conditions dont il peut être assorties[10].
Afin de protéger l’intégrité du processus, il n’y a pas d’ouverture publique des soumissions. C’est seulement lors du dépôt des deux rapports au conseil (fin de l’Étape 2) que les informations relatives à l’identification des soumissionnaires et aux prix sont divulguées au public.[11]
De même, la grille d’évaluation (incluant critères objectifs dont le prix) et les modalités de ce mode d’adjudication (avec discussions et négociations) sont établies dès le début du processus, dans la demande de soumissions (Étape 1).
Discussions encadrées sous la responsabilité du « Responsable des discussions et négociations »
Un nouveau joueur se joint au processus, ci-après dénommé le « Responsable des discussions et négociations »[12]. Il doit être nommé par le conseil et identifié dans la demande de soumissions (Étape 1). Son rôle est de s’assurer de l’égalité de traitement entre les soumissionnaires ainsi que de l’intégrité du processus, que ce soit lors de toute discussion encadrée (fin de l’Étape 1) ou lors de toute négociation éventuelle (fin de l’Étape 2). Il ne doit être ni membre du conseil, ni membre du comité de sélection, ni secrétaire du comité de sélection[13]. Une des particularités de ce mode d’adjudication est la période de « discussions encadrées » individuelles entre ce Responsable des discussions et négociations et chaque soumissionnaire. Ces discussions visent à préciser le projet sur le plan technique ou financier, et ce afin de permettre la présentation de soumissions finales suite aux précisions apportées. Cette période est d’une durée maximale de six (6) mois jusqu’à la demande de soumissions finales[14].
C. Demande de soumissions finales (Étape 2)
Si le Donneur d’ordre souhaite poursuivre le processus, il procède ensuite par écrit à une demande de soumissions finales. Celle-ci ne s’adresse qu’aux soumissionnaires ayant participé aux discussions encadrées de l’Étape 1. Les soumissions finales sont reçues et ouvertes devant le secrétaire du comité de sélection : il n’y a pas d’ouverture publique des soumissions.[15]
Évaluation par le comité de sélection
Le comité de sélection effectue une évaluation individuelle des soumissions finales et sélectionne le soumissionnaire conforme ayant obtenu le meilleur pointage selon la grille d’évaluation[16] établie lors de la demande de soumissions (Étape 1).
Négociation par le Responsable des discussions et négociations
Le Donneur d’ordre négocie, par le biais de son Responsable des discussions et négociations[17], avec le soumissionnaire conforme ayant obtenu le meilleur pointage, toute disposition contractuelle permettant d’arriver à la conclusion d’un contrat, tout en préservant les éléments fondamentaux de l’appel d’offres, à savoir les demandes de soumissions (Étape 1 et Étape 2) et la soumission finale retenue. À titre d’ exemple, il ne serait pas permis de négocier un élément contractuel ayant pour effet de modifier le prix de la soumission finale, étant donné que le prix fait partie des critères objectifs de la grille d’évaluation, et qu’à ce stade du processus d’appel d’offres, l’évaluation individuelle des soumissions par le comité de sélection est terminée.
À l’issue de la négociation, le Responsable des discussions et négociations recommande au Donneur d’ordre l’un des choix suivants : a) adjuger le contrat sans négocier (s’il y a lieu), car la soumission finale retenue par le comité de sélection correspond exactement aux attentes du Donneur d’ordre; b) négocier en vue de conclure le contrat, car la soumission finale retenue par le comité de sélection ne correspond pas aux attentes du Donneur d’ordre et doit s’en rapprocher davantage pour finaliser une entente; c) ne pas conclure le contrat, car la soumission finale ayant obtenu le meilleur pointage ne rencontre pas les attentes du Donneur d’ordre. Le soumissionnaire pourrait à ce stade-ci mettre fin au processus de négociation s’il n’est pas en mesure de répondre aux attentes du Donneur d’ordre.
Dépôt des rapports au conseil
Après la négociation, deux (2) rapports doivent être déposés au conseil pour que le contrat puisse être conclu.
– Le Responsable des discussions et négociations dépose son rapport attestant de la date et de l’objet de toute discussion/négociation et du fait que toute discussion/ négociation respecte les dispositions de l’appel d’offres et le principe de l’égalité de traitement des soumissionnaires.
– Le secrétaire du comité de sélection dépose son rapport attestant de l’évaluation individuelle de chaque soumission finale (pointage en fonction des critères d’évaluation, divulgation de l’identité des soumissionnaires et du prix de chacune de leurs soumissions) et du fait que toute étape (autre que discussion/négociation) liée aux demandes de soumissions respecte les dispositions de l’appel d’offres et le principe de l’égalité de traitement des soumissionnaires.
Adjudication ou exercice de la clause de réserve
À la fin de l’Étape 2, le conseil dispose donc de trois (3) choix possibles :
a) il peut adjuger le contrat sans négociation sur la base de la soumission finale ayant obtenu le meilleur pointage;
b) il peut adjuger le contrat avec négociation sur la base des termes négociés entre le soumissionnaire conforme ayant obtenu le meilleur pointage et le Responsable des discussions et négociations;
c) il peut procéder à l’exercice de la clause de réserve et ne retenir aucune des soumissions.
En conclusion, le système de pondération avec discussions et négociations est un mode d’adjudication permis pour tout type de contrats municipaux. Cela dit, étant donné la nature complexe du processus (nomination d’un Responsable des discussions et négociations; période de discussions encadrées pouvant durer six (6) mois; ouverture non-publique des soumissions; négociation éventuelle), il nous apparaît davantage adapté aux projets de grande envergure.
L’équipe Edilex demeure disponible pour toute question relative à ce sujet.
[1]Art. 573.1.0.5 à 573.1.0.12 Loi sur les Cités et Villes(RLRQ, c. C-19) (ci-après « LCV»); art. 936.0.5 à 936.0.12 Code municipal du Québec (RLRQ, c. C-27.1) (ci-après « CM»); art. 99.0.1 à 99.0.8 Loi sur les sociétés de transport en commun (RLRQ, c. C-30.01) (ci-après « LSTC»); LCV, CM et LSTC (ci-après collectivement les « Lois municipales»)
[2]Idem
[3]Ex : contrats relatifs à « l’exploitation d’un parc, d’un équipement municipal, ou d’un lieu destiné à la pratique d’activités culturelles, récréatives ou communautaires »; ou bien contrats relatifs à « l’exploitation d’un centre de congrès ou d’un centre de foires » tels que définis à l’article 7.1 de la Loi sur les compétences municipales (RLRQ, c. C-47.1)
[4]Le 21 septembre 2011, le projet de loi numéro 204 (privé) sanctionnant la Loi concernant le projet d’amphithéâtre multifonctionnel de la Ville de Québec(L.Q. 2011, c. 42) a été adopté, afin de permettre à la Ville de Québec de conclure, de manière exceptionnelle, le contrat découlant de la proposition de Québecor Média inc..
[5]La loi 122 sanctionne la Loi visant principalement à reconnaître que les municipalités sont des gouvernements de proximité et à augmenter à ce titre leur autonomie et leurs pouvoirs (L.Q., 2017 c. 13).
[6]Par exemple : obligation de prévoir des mesures pour prévenir les conflits d’intérêt (art. 573.3.1.2 LCV; art. 938.1.2 CM; art. 103.2 LSTC)
[7]Plus bas soumissionnaire conforme (sauf pour les contrats de services professionnels); qualité/prix (2 enveloppes); grille de pondération incluant le prix (1 enveloppe) (avec ou sans discussions et négociations).
[8]Art. 573.1.0.9 LCV; art. 936.0.9 CM; art. 99.0.5 LSTC
[9]Dans le présent article, le terme « conseil » réfère soit au conseil municipal dans le cas d’une municipalité régie par la LCV ou par le CM; soit au conseil d’administration dans le cas d’une société de transport en commun régie par la LSTC.
[10]Art. 573.1.0.5 al.4 LCV; art. 936.0.5 al.4 CM; art. 99.0.1 al.4 LSTC
[11]Art. 573.1.0.7 et 573.1.0.8 LCV; art. 936.0.7 et 936.0.8 CM; art. 99.0.3 et 99.0.4 LSTC
[12]Art. 573.1.0.11 LCV; art. 936.0.11 CM; art. 99.0.7 LSTC
[13]Voir note 12
[14]Art. 573.1.0.5 al.1 et al.2 par.2 LCV; art. 936.0.5 al.1 et al.2 par.2 CM; art. 99.0.1 al.1 et al.2 par.2 LSTC
[15]Voir note 11
[16]Art. 573.1.0.5 al.3 LCV; art. 936.0.5 al.3 CM; art. 99.0.1 al.3 LSTC
[17]Art.573.1.0.10 LCV; art. 936.0.10 CM; art. 99.0.6 LSTC