Au Québec, la forte augmentation des prix du carburant et des matériaux de construction depuis 2 ans est un casse-tête pour les organismes publics et municipaux.
Dans un premier billet, nous avons mentionné la possibilité pour les organismes d’ajouter aux appels d’offres une clause d’ajustement du prix du contrat en fonction de la variation des prix du carburant et/ou des matériaux de construction. Dans un deuxième billet, nous avons offert certains conseils par rapport à la rédaction d’une telle clause.
Aujourd’hui, nous complétons la trilogie en abordant un enjeu différent : que faire lorsque l’organisme a conclu un contrat de travaux de construction avant la forte augmentation des prix et reçoit à présent de l’entrepreneur des réclamations en lien avec l’augmentation des prix ? Nous prenons ici pour acquis que le contrat ne prévoit aucune clause d’ajustement de prix.
Les tribunaux auront certainement à se prononcer sur la question au cours des prochains mois et nous suivrons avec attention la jurisprudence à ce sujet.
Dans l’immédiat, voici certaines réflexions et pistes de réponse.
Sur le plan strictement juridique, nous pensons que l’organisme ne peut pas accepter les réclamations de l’entrepreneur, en raison des obstacles suivants :
1. Contrat à prix forfaitaire: lorsque le contrat est à prix forfaitaire, c’est l’entrepreneur qui assume les risques de dépassement de coûts en cas de conditions imprévues, conformément au Code civil du Québec[1].
2. Cas de force majeure: l’augmentation des prix du carburant et des matériaux de construction ne constitue pas un cas de « force majeure » au sens du Code civil du Québec[2] étant donné que l’exécution du contrat, bien que plus coûteuse pour l’entrepreneur (et, par conséquent, moins avantageuse financièrement) demeure possible.
3. Théorie de l’imprévision: l’entrepreneur ne peut pas invoquer la « théorie de l’imprévision » au soutien de ses réclamations. Pour citer la Cour suprême du Canada[3], « […] cette théorie, qui peut exiger d’une partie qu’elle renégocie un contrat advenant un changement de circonstances soudain ayant pour effet de rendre le contrat trop onéreux pour l’autre partie, n’est pas reconnue en droit civil québécois ».
4. Égalité entre les soumissionnaires: s’il accepte les réclamations de l’entrepreneur, l’organisme va contrevenir au principe de l’égalité entre les soumissionnaires. En effet, au moment de l’appel d’offres, d’autres soumissionnaires ont peut-être choisi de déposer une soumission plus élevée afin de se protéger contre la variation des prix du carburant et/ou des matériaux de construction dans le futur.
5. Modification du contrat: autant pour les organismes publics que municipaux, la loi prévoit qu’un contrat peut être modifié si la modification en constitue un accessoire et n’en change pas la nature. Or, une modification du prix du contrat uniquement en lien avec l’augmentation des prix du carburant et des matériaux de construction peut difficilement être considérée accessoire, comme le mentionne le MAMH dans un bulletin publié cet été.
Il s’agit d’obstacles importants sur le plan juridique. Dans un contexte de litige, il est certain qu’un tribunal devra les prendre en considération dans l’analyse. Par contre, considérant que l’augmentation élevée des prix du carburant et des matériaux de construction depuis 2 ans est causée par une série d’événements extraordinaires (pour en nommer quelques-uns, l’épidémie de COVID-19 et le conflit armé en Ukraine), est-ce qu’un tribunal pourrait avoir une approche différente ? Pourrait-il, par exemple, s’appuyer sur la notion de bonne foi dans le cadre d’un contrat pour conclure qu’un organisme ne peut pas mettre en danger la survie d’un entrepreneur engagé à long terme dans un contrat déficitaire ? Il s’agit d’une question très intéressante et nous suivrons avec attention la jurisprudence à ce sujet.
Pour conclure, soulignons que cet enjeu a été abordé pendant la campagne électorale au Québec. En effet, Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEQ) a présenté plusieurs propositions (que vous pouvez consulter sur son site internet) et notamment la suivante : « […] d’inclure dans les contrats publics des mécanismes d’ajustement systématique en lien avec l’inflation dans les appels d’offres publics ». Cependant, tel qu’exposé dans le présent billet, cette proposition, pour être mise en application, exigerait des changements importants au cadre normatif applicable aux organismes.
[1] Article 2109.
[2] Article 1470.
[3] Churchill Falls (Labrador) Corp. c. Hydro-Québec, 2018 CSC 46.