Dans un article récent publié dans le journal Le Devoir[1], la professeure Geneviève Dufour mentionne que les nouvelles règles introduites par la loi 12 (Loi visant principalement à promouvoir l’achat québécois et responsable par les organismes publics, à renforcer le régime d’intégrité des entreprises et à accroître les pouvoirs de l’Autorité des marchés publics) dans la Loi sur les contrats des organismes publics (LCOP)[2] en matière de développement durable permettent au Québec de rattraper son retard sur le plan législatif. Cependant, elle souligne aussi que, pour le gouvernement du Québec, la prochaine étape est « de fournir à ses acheteurs publics les outils leur permettant d’acheter des biens et des services réellement durables et responsables ». À ce sujet, elle donne l’exemple des Pays-Bas et de la Corée, qu’elle qualifie de « champions en la matière » qui « ont créé des outils informatiques extrêmement efficaces ».
Dans cette optique, le présent billet a pour sujet l’outil informatique DuboCalc, créé par Rijkswaterstaat (RWS), une agence qui fait partie du ministère des infrastructures et de la gestion de l’eau des Pays-Bas.
DuboCalc est un outil qu’un soumissionnaire peut utiliser dans le cadre d’un appel d’offres visant des travaux de construction ou de voirie. L’outil permet de calculer le Environmental Cost Indicator (« ECI », qu’on peut traduire par « indicateur de coût environnemental ») qui sera associé à sa soumission. En effet, dans le cadre d’un appel d’offres, RWS décrit son besoin en termes de performance ou d’exigence fonctionnelle. Les documents d’appel d’offres mentionnent donc uniquement le résultat attendu et laissent au marché le choix des moyens pour l’atteindre. Ainsi, dans le cadre d’un appel d’offres visant des travaux de construction, le soumissionnaire peut, après analyse des documents d’appel d’offres et plus spécifiquement du résultat attendu, indiquer dans sa soumission les matériaux qu’il va utiliser.
C’est là que DuboCalc intervient : cet outil est relié à une base de données nationale (du gouvernement des Pays-Bas), qui contient, pour chaque matériau, des données relatives à l’analyse du cycle de vie (ACV)[3]. Le soumissionnaire doit donc indiquer dans DuboCalc les matériaux (description, quantités, etc.) qu’il va utiliser. En utilisant la base de données nationale, l’outil va ensuite traduire les impacts environnementaux de ses choix en valeurs monétaires et calculer le ECI associé à cette soumission.
Plus la valeur du ECI est faible, plus l’impact environnemental du design proposé par le soumissionnaire est faible. Un soumissionnaire qui fait le choix d’utiliser des matériaux plus écologiques est avantagé puisque le donneur d’ouvrage applique un « rabais » fictif au montant de sa soumission. Plus la valeur du ECI est faible, plus le rabais appliqué est élevé. Notons cependant que le rabais est appliqué uniquement pour fins de comparaison des soumissions. Autrement dit, le montant « réel » du contrat, soit celui qui sera payé au soumissionnaire si le contrat lui est adjugé, est le prix indiqué à sa soumission sans le rabais. On peut ici faire une analogie avec le concept de « marge préférentielle » dans le cas d’une spécification liée au développement durable et à l’environnement, qui est prévu dans la réglementation québécoise[4].
Par ailleurs, étant donné que le soumissionnaire indique dans sa soumission la valeur du ECI, cette dernière fait partie intégrante de sa soumission. Il prend donc un engagement à cet effet. En cas de non-respect de cet engagement pendant l’exécution du contrat, une pénalité lui est imposée. Dans un rapport publié en 2015[5], l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) donne l’exemple suivant :
« The contractor must demonstrate that the proposed ECI value is achieved in the execution of the contract. When the actual quality does not comply with the offer then a sanction follows that is 1.5 times the calculated price for quality value, e.g. if the contractor was awarded a “virtual” EUR 5 million reduction on its quoted price for its proposed environmental efforts as part of the bid assessment and failed to achieve results, the sanction would mean that the contracting authority would have to pay the contractor EUR 7.5 million less than the submitted quote price. »
L’utilisation de DuboCalc, jumelée à la règle d’adjudication décrite ci-haut, est donc très intéressante pour les raisons suivantes :
- Pendant la préparation de sa soumission, un soumissionnaire peut se questionner par rapport au design qu’il va proposer et « simuler » différents scénarios à l’aide de DuboCalc, ce qui favorise l’innovation (rappelons que favoriser l’innovation est un des avantages, pour le donneur d’ouvrage, de décrire le besoin en termes de performance ou d’exigence fonctionnelle : voir notre billet précédent)
- La règle d’adjudication comprend l’application d’un rabais, ce qui encourage à faire le choix d’utiliser des matériaux plus écologiques
- Le choix d’un soumissionnaire d’utiliser des matériaux plus écologiques a bien sûr un impact à la hausse sur le montant de sa soumission, mais l’application du rabais fait en sorte qu’il peut tout de même présenter une offre qui sera compétitive
- DuboCalc est simple d’utilisation : un soumissionnaire doit simplement indiquer les matériaux qu’il va utiliser et l’outil va ensuite effectuer les calculs
- Les calculs sont effectués par DuboCalc, mais la démarche est transparente pour un soumissionnaire puisque cet outil est relié à une base de données nationale et que la règle d’adjudication est clairement indiquée aux documents d’appel d’offres
Pour conclure, il est important de noter que l’approche de RWS et, de manière plus large, celle des Pays-Bas, est basée sur le concept appelé « Economically Most Advantageous Tender » (EMAT)[6], couramment utilisé en Europe. On peut traduire ce concept par « l’offre économiquement la plus avantageuse ». Ce n’est donc pas une adjudication au « prix le plus bas », mais plutôt en fonction de plusieurs critères et qui peut notamment permettre de considérer les coûts qui sont imputés aux externalités environnementales. Il s’agit sans aucun doute d’une approche très intéressante dont le Québec devrait s’inspirer.
[1] Geneviève Dufour, Priorité aux produits locaux, durables et responsables (Le Devoir), 25 février 2023.
[2] Rappelons que ces règles, prévues aux articles 14.6 à 14.9 de la LCOP, visent uniquement les organismes publics assujettis à la LCOP, tels que les organismes des réseaux de la santé et de l’éducation.
[3] Le gouvernement du Québec définit l’analyse du cycle de vie (ACV) de la manière suivante : « […] une méthode d’analyse régie par l’Organisation internationale de normalisation (ISO) qui permet d’évaluer la performance environnementale d’un produit ou d’une activité sur l’ensemble de son cycle de vie. Cette approche globale tient compte de l’extraction et du traitement des matières premières, des processus de fabrication, du transport et de la distribution, de l’utilisation et de la gestion du produit en fin de vie. Elle a pour objectif de permettre la réduction des effets des produits et des services sur l’environnement, en facilitant la comparaison de solutions et la prise de décision. Elle constitue un outil d’aide à la gestion écologique et, à plus long terme, au développement durable. »
[4] Voir notamment l’article 37 du Règlement sur certains contrats d’approvisionnement des organismes publics, RLRQ, c. C-65.1, r. 2.
[5] Organisation de coopération et de développement économiques, Going Green : Best Practices for Sustainable Procurement, 2015.
[6] Parfois également appelé « Most Economically Advantageous Tender » (MEAT).