Projet de loi 79 : vers l’introduction du mécanisme du « coût total d’acquisition » dans le milieu municipal

Contrairement aux dispositions de la Loi sur les contrats des organismes publics (LCOP) et de sa réglementation[1], les dispositions des lois municipales ne prévoient pas la possibilité pour un organisme municipal de tenir compte du « coût total d’acquisition » dans le cadre d’un appel d’offres. Pourtant, le milieu municipal a manifesté plusieurs fois son intérêt par rapport à l’utilisation de ce mécanisme au fil des années.
Un jugement rendu en 2022 par la Cour d’appel du Québec l’illustre bien. Il était question, dans cette affaire, d’un appel d’offres émis par un organisme municipal visant l’achat de 5 000 tonnes métriques d’enrobés bitumineux. Le mode d’adjudication choisi était celui du « prix le plus bas » (prix unitaire par tonne métrique d’enrobés bitumineux), avec une particularité cependant : les documents d’appel d’offres prévoyaient que l’organisme allait tenir compte du « coût de transport » et du « coût de perte de productivité » dans la règle d’adjudication du contrat. Considérant que les enrobés bitumineux seraient récupérés par les employés et les camions de l’organisme à l’usine de l’adjudicataire, l’organisme voulait tenir compte de différentes variables (coût de sa main-d’œuvre chargée du transport, coût du carburant pour ses camions, etc.) dans la comparaison des soumissions pour identifier celle qui serait la plus avantageuse économiquement. Cette méthode avait été contestée par un soumissionnaire non retenu à la suite de l’application de la règle d’adjudication. La Cour d’appel avait tranché en faveur de l’organisme, en soulignant que sa méthode « vise à prendre en compte, dans l’exercice de comparaison des soumissions, son coût réel ».
Cependant, malgré ce jugement, il demeure selon nous hasardeux pour les organismes municipaux de tenir compte du coût total d’acquisition dans le cadre d’un appel d’offres. L’utilisation de ce mécanisme n’étant pas prévue dans les lois municipales et n’étant encadrée que de manière sommaire par la jurisprudence précitée, comment en connaître les limites ? Il serait certainement préférable que ce mécanisme soit codifié dans la loi, comme c’est le cas présentement pour les organismes publics.
Dans cette optique, on peut aisément comprendre la déception du milieu municipal après avoir constaté que la version initiale de la Loi sur les contrats des organismes municipaux (LCOM), telle que proposée par le projet de loi 79 (Loi édictant la Loi sur les contrats des organismes municipaux et modifiant diverses dispositions principalement aux fins d’allègement du fardeau administratif des organismes municipaux) déposé à l’Assemblée Nationale le 7 novembre 2024, ne contenait aucune disposition par rapport au mécanisme du coût total d’acquisition. Cette omission était d’autant plus surprenante que, tel que mentionné dans un billet précédent, l’introduction de la LCOM vise à harmoniser les règles encadrant les contrats municipaux aux règles de la LCOP (ou, du moins, à diminuer des divergences entre ces règles).
Les organismes municipaux seront toutefois heureux d’apprendre que, dans le cadre des travaux en commission parlementaire pour le projet de loi 79, le gouvernement a introduit un amendement visant à codifier le mécanisme du coût total d’acquisition dans la LCOM également. Un organisme municipal pourra donc prévoir aux documents d’appel d’offres, « dans les cas et aux conditions prévus par un règlement du ministre, que seront considérés aux fins de la détermination du soumissionnaire retenu, en plus du prix proposé dans chacune des soumissions, les coûts additionnels que devra assumer l’organisme municipal ». Dans un bulletin récent, le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation (MAMH) note que cet ajout au cadre normatif des organismes municipaux fait en sorte qu’ils pourront « […] afin de déterminer l’offre la plus avantageuse, considérer lors de l’évaluation de chacune des soumissions, les coûts additionnels qu’ils devront assumer (approche du coût total d’acquisition) ».
Il faudra attendre la publication du projet de règlement du MAMH pour en savoir plus, mais on peut s’attendre à ce que l’approche retenue soit similaire à celle du Règlement sur certains contrats d’approvisionnement des organismes publics et du Règlement sur les contrats des organismes publics en matière de technologies de l’information, dont les grandes lignes sont les suivantes :
- l’ajustement des prix effectué par l’organisme doit être fondé sur des éléments quantifiables et mesurables identifiés aux documents d’appel d’offres; la règle d’adjudication du contrat doit comprendre les éléments sur lesquels l’organisme se fonde aux fins de l’ajustement des prix pour le calcul du coût total d’acquisition et les modalités de calcul applicables aux fins de l’adjudication;
- l’ajustement des prix effectué par l’organisme doit s’effectuer après le dépôt des soumissions selon les renseignements contenus dans chaque soumission;
- si, aux fins de l’adjudication, l’organisme a considéré des coûts additionnels, il doit transmettre à chaque soumissionnaire la valeur des coûts additionnels le concernant après l’adjudication du contrat.
Pour conclure, il est important de souligner que, bien que le projet de loi 79 ait été adopté le 18 mars 2025 et sanctionné le 25 mars 2025, la LCOM n’est pas encore en vigueur, en raison des dispositions transitoires du projet de loi. Dans son bulletin, le MAMH a indiqué que l’entrée en vigueur de la LCOM est prévue pour le printemps 2026. Notre équipe ne manquera pas de vous tenir informés de l’évolution de la situation.
[1] Règlement sur certains contrats d’approvisionnement des organismes publics, RLRQ, c. C-65.1, r. 2, art. 15.1.1 et 15.1.2 ; Règlement sur les contrats des organismes publics en matière de technologies de l’information, c. C-65.1, r. 5.1, art. 15 et 31.