Choix des soumissionnaires invités: « Réelle » invitation ou apparence de concurrence?

Dans le cadre d’un appel d’offres sur invitation, plusieurs règles dictées par le cadre normatif applicable s’imposent au donneur d’ordre. Tout d’abord, ce dernier doit s’assurer que la valeur du ou des contrat(s) public(s) envisagé(s) n’excède pas le seuil en vertu duquel il doit procéder par demande de soumissions publique.

Prenons le cas d’espèce qui a fait l’objet d’une recommandation récente de l’AMP, soit celui d’une municipalité qui souhaite réaliser elle-même le déneigement de ses routes. Celle-ci doit, par conséquent, s’équiper en faisant l’acquisition par appel d’offres d ‘un camion de déneigement ainsi que d’un équipement à neige.

Individuellement, chacun des deux contrats d’acquisition peut avoir une valeur estimée inférieure au seuil mentionné ci-dessus. Cela dit, le projet d’acquisition devrait être envisagé dans son ensemble par le donneur d’ordre, afin de respecter le principe selon lequel ce dernier ne peut diviser les contrats publics qui répondent à un même besoin.

Dans cette recommandation visant la municipalité de La Corne, l’AMP en vient à la conclusion que la municipalité a contrevenu à son cadre normatif en procédant à la division des contrats publics, et ce en contravention avec le Code municipal[1].

L’AMP analyse également la question du choix des soumissionnaires invités lors d’un appel d’offres sur invitation.

Dans cette affaire, le donneur d’ordre a lancé simultanément deux appels d’offres sur invitation (l’un pour l’acquisition du camion à neige et l’autre pour l’acquisition de l’équipement à neige). Seuls deux fournisseurs ont été invités par le donneur d’ordre à soumissionner. L’un d’eux (fournisseur #2) a clairement manifesté son intention de ne pas répondre à l’appel d’offres, car celui-ci n’était pas intéressé à vendre son camion et il ne disposait pas d’équipement à neige.

À l’issue de ces deux appels d’offres, le donneur d’ordre a reçu une seule soumission pour l’acquisition de l’équipement à neige, soit celle du fournisseur #1, et une seule soumission pour l’acquisition du camion, quant à elle transmise par une entreprise qui n’a pas été invitée à soumissionner (le « Soumissionnaire non invité »). Il s’agissait en fait d’une compagnie ayant le même et unique actionnaire et dirigeant que le fournisseur #1. Le donneur d’ordre a accepté la soumission d’un Soumissionnaire non-invité et lui a même octroyé le contrat d’acquisition du camion à neige!

Lors d’un appel d’offres sur invitation, il est certain que le donneur d’ordre bénéficie d’une plus grande latitude quant au choix des soumissionnaires qui sont invités mais encore doit-il faire attention de respecter le cadre normatif qui lui est applicable.

Dans sa décision, l’AMP rappelle aux donneurs d’ordre qu’il doit s’agir d’une réelle invitation à soumissionner. L’AMP énonce que le donneur d’ordre aen l’espèce« créé une apparence de concurrence en invitant deux fournisseurs, dont un qui n’avait manifestement pas l’intention de déposer une soumission » et précise qu’une telle situation porte « atteinte à l’intégrité du processus de demande de soumissions par voie d’invitation en acquérant le camion d’un fournisseur n’ayant pas été invité à y participer. »

En guise de conclusion, nous souhaitons mentionner qu’il est primordial pour le donneur d’ordre, de procéder à une évaluation adéquate de ses besoins, et ce, avant même le lancement de l’appel d’offres, afin de connaître avec précision un estimé réaliste de la dépense de fonds publics envisagée.

Rappelons que l’estimation des besoins est obligatoire pour tout donneur d’ordre pour un contrat comportant une dépense de 100 000$ et plus[2]. Ainsi, le donneur d’ordre sera en mesure de respecter les processus d’appel d’offres, en tenant compte du seuil en vertu duquel celui-ci doit procéder par demande de soumissions publique. Lors d’une telle évaluation, le donneur d’ordre doit tenir compte notamment de la prévisibilité des besoins. En l’espèce, le besoin de faire l’acquisition d’un camion à neige et d’un équipement à neige était prévisible au moment du lancement des processus de demandes de soumissions par voie d’invitation.

Afin de se prémunir contre l’éventualité du dépôt d’une soumission par un soumissionnaire non-invité, une bonne pratique consiste à prévoir en matière d’appel d’offres sur invitation, que les soumissionnaires doivent avoir obtenu les documents d’appel d’offres directement du donneur d’ordre et avoir été invités à soumissionner directement par ce dernier.


[1] L’article 938.0.3 du Code Municipal (RLRQ, c. C-27.1) prévoit qu’une municipalité ne peut diviser plusieurs contrats en semblable matière sauf, notamment, si cette division est justifiée par des motifs de saine administration. Le fardeau de démontrer qu’une exception à ce principe trouve application repose sur la municipalité. Voir aussi art. 573.3.0.3 de la Loi sur les cités et villes (RLRQ, c. C-19)

[2] Art. 961.2 du Code Municipal (RLRQ, c. C-27.1); art. 477.4 de la Loi sur les cités et villes (RLRQ, c. C-19)