Prix anormalement bas : ne pas en tirer avantage !

Un prix anormalement bas dans une soumission soulève une question importante pour le donneur d’ouvrage public : ce soumissionnaire a-t-il bien compris le projet tel que décrit aux documents d’appel d’offres ? Les tribunaux québécois ont récemment rappelé que, dans un tel cas, le donneur d’ouvrage ne peut pas profiter d’une erreur dans la soumission « qui saute aux yeux » et adjuger le contrat à ce soumissionnaire sans autre vérification.

Dans cette affaire, un entrepreneur a participé à un appel d’offres visant des travaux de construction, lesquels incluaient notamment l’enfouissement de conduits. Le contrat lui a été adjugé, mais, rapidement, une mésentente est survenue entre l’organisme municipal et le sous-entrepreneur responsable de l’enfouissement des conduits. Selon l’organisme, le prix demandé aux documents d’appel d’offres (et indiqué par l’entrepreneur dans sa soumission) était un prix par mètre linéaire de « massif » (un regroupement de plusieurs conduits). Le prix du sous-entrepreneur avait cependant été calculé par mètre linéaire de conduit. Cette distinction avait bien sûr un impact considérable sur le montant total de la soumission.

La Cour supérieure, dans un jugement rendu en avril 2019 (confirmé par la Cour d’appel du Québec en mai 2021), en arrive aux conclusions suivantes :

  • le prix demandé était effectivement par mètre linéaire de massif, tel qu’affirmé par l’organisme, et les documents d’appel d’offres étaient clairs
  • avant le dépôt de la soumission, le sous-entrepreneur n’a pas examiné les plans aux fins de fixer le prix de l’enfouissement des conduits et a donc commis une erreur inexcusable
  • par contre, en l’occurrence, elle « ne peut arrêter son analyse à ce constat »

La Cour supérieure explique en effet que l’erreur du sous-entrepreneur était évidente dès l’analyse des soumissions : suffisamment d’indices, notamment le tableau comparatif des soumissions et la différence de prix avec les autres soumissions, permettaient de conclure que le sous-entrepreneur avait commis une erreur.

Elle poursuit donc son analyse en mentionnant ce qui suit au sujet de l’organisme et des professionnels retenus pour analyser les soumissions :

  • les professionnels auraient dû comprendre que la soumission était irréalisable au prix indiqué pour l’installation des conduits et la refuser parce que non conforme, ou encore vérifier auprès de l’entrepreneur, qui aurait alors posé la question au sous-entrepreneur
  • les professionnels ont profité de l’erreur du sous-entrepreneur en recommandant à l’organisme d’adjuger le contrat à l’entrepreneur et ainsi de faire exécuter les travaux à un prix qu’ils savaient dérisoire et incompatible avec les travaux requis, n’eût été l’erreur du sous-entrepreneur
  • l’organisme a adjugé le contrat à l’entrepreneur « en balayant sous le tapis ce qui saute aux yeux comme une erreur »
  • même si le sous-entrepreneur a commis une erreur inexcusable, l’organisme et les professionnels ont, en l’occurrence, « transgressé leur obligation de bonne foi par réticence dolosive »

Ce jugement rappelle par ailleurs un jugement précédent de la Cour d’appel du Québec, rendu en avril 2014. Il était également question dans cette affaire d’une soumission dont le prix était anormalement bas : un soumissionnaire avait répondu à un appel d’offres en croyant erronément que les travaux de construction à réaliser ne concernaient que les revêtements extérieurs en bois, alors qu’ils visaient aussi les revêtements métalliques. Le tribunal avait jugé qu’un donneur d’ouvrage public ne peut pas « tirer avantage d’un prix anormalement bas pouvant laisser entrevoir une erreur » du soumissionnaire.