Une autorisation de contracter exigée pour un contrat d’approvisionnement ?

Au Québec, une autorisation de contracter délivrée par l’Autorité des marchés publics (ci-après l’ « AMP ») est nécessaire pour :

  • tout contrat (ou sous-contrat) public de services qui comporte une dépense égale ou supérieure à 1 million de dollars; et
  • tout contrat (ou sous-contrat) public de travaux de construction qui comporte une dépense égale ou supérieure à 5 millions de dollars.

Cette exigence est prévue à l’article 21.17 de la Loi sur les contrats des organismes publics (ci-après la « LCOP ») et s’applique tant aux organismes publics que municipaux. Il convient de mentionner que ces seuils sont déterminés par divers décrets adoptés par le gouvernement.

Toutefois, certains types de contrats publics, comme les contrats d’approvisionnement, ne nécessitent pas d’autorisation de contracter délivrée par l’AMP, et ce, peu importe le montant du contrat. Cette différence de traitement peut paraître surprenante dans la mesure où l’exigence concernant l’autorisation de contracter vise à s’assurer de l’intégrité du cocontractant, un objectif qui est aussi pertinent pour un contrat d’approvisionnement que pour un contrat de services ou de travaux de construction. Elle soulève également une question intéressante : dans le cas où la détention de l’autorisation de contracter n’est pas requise en vertu de la loi, par exemple, pour un contrat d’approvisionnement, un donneur d’ouvrage public peut-il tout de même prévoir une clause à cet effet aux documents d’appel d’offres, et ainsi en faire une condition d’admissibilité « contractuelle » plutôt que « législative », dans le but de s’assurer de l’intégrité du cocontractant de cette manière ? La question n’est pas que théorique, puisque plusieurs organismes publics et municipaux ont manifesté leur volonté d’exiger systématiquement la détention de l’autorisation de contracter pour s’assurer de l’intégrité de leurs cocontractants.

Nous croyons qu’il faut répondre à cette question par la négative, pour les raisons suivantes :

  • la loi prévoit qu’un donneur d’ouvrage doit exiger une autorisation de contracter uniquement dans les cas qui y sont expressément prévus, soit lorsque la dépense d’un contrat est égale ou supérieure au montant déterminé par le gouvernement (1 million de dollars pour les contrats de services et 5 millions de dollars pour les contrats de travaux de construction) ;
  • depuis l’entrée en vigueur de la loi 108[1], le gouvernement du Québec peut, malgré les décrets adoptés, déterminer qu’une autorisation est requise à l’égard des contrats publics ou sous-contrats publics, même s’ils comportent un montant de dépense inférieur, et déterminer qu’une autorisation est requise à l’égard d’une catégorie de contrats publics ou sous-contrats publics autre que celles déterminées par les décrets ; le gouvernement ayant ce pouvoir discrétionnaire, nous pensons, a contrario, qu’un organisme public ou municipal ne détient pas un tel pouvoir ; l’AMP semble d’ailleurs corroborer cette position dans une décision rendue au mois de mars 2021 en mentionnant qu’une telle prérogative appartient exclusivement au gouvernement.

Ainsi, dans le cas où la détention de l’autorisation de contracter délivrée par l’AMP n’est pas requise en vertu de la loi, mais que le donneur d’ouvrage décide tout de même d’en faire une condition d’admissibilité « contractuelle », nous pensons qu’il s’expose à une plainte des soumissionnaires potentiels à l’AMP ou à une contestation devant les tribunaux.

Cependant, il est fort probable que ce débat devienne théorique dans le futur : dans un article de journal récent, il a été rapporté que, dans le contexte de la multiplication des contrats d’approvisionnement d’envergure pendant l’épidémie de COVID-19, des discussions ont été tenues entre l’AMP et le Secrétariat du Conseil du trésor (SCT) par rapport à la possibilité d’assujettir les contrats d’approvisionnement aux mêmes règles que celles des contrats de services ou de travaux de construction[2]. Nous suivrons ce dossier de près.

* Cet article a été rédigé avec la collaboration de Me Rosie-Michèle Côté-Denis

[1] Loi favorisant la surveillance des contrats des organismes publics et instituant l’Autorité des marchés publics, LQ 2017, c. 27.

[2] Daniel BOILY et Davide GENTILE, 29 mars 2021, « L’AMP veut surveiller les fournisseurs d’équipements de protection », Radio-Canada, en ligne : < https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1780149/amp-upac-fournisseurs-equipements-protection-quebec>.