Résolution des différends – Les invités

En mode de débat (poursuite devant une cour de justice), on parle d’assignation. En mode de dialogue, on parle d’invitation.

Toutefois, le législateur québécois s’attend à ce que la mise en demeure soit une invitation au dialogue. Même si on assigne, on peut lancer l’invitation par la suite; assigné, on peut inviter l’autre au dialogue. En dialogue, on peut aussi prévoir une assignation à titre de jeu décisif en cas d’impasse. On sait qu’un tribunal est toujours disposé à favoriser le dialogue si toutes les parties sont d’accord. Il reste à savoir si le tribunal peut ordonner le dialogue, soit sur demande de l’une des parties, soit de son propre gré (proprio motu). À ce jour, les tribunaux ont répondu que « non » mais je dirais que les juges possèdent déjà ce pouvoir, mais qu’en général ils ne l’exercent pas. Il faudrait connaître l’opinion de la Cour d’appel et même de la Cour suprême du Canada sur la question.

Si l’assignation tient, on se dirige vers le procès ou la séance d’arbitrage, donc devant un juge ou un arbitre qui a comme mission et devoir de trancher le litige, de décider pour les parties. On n’arrive pas du jour au lendemain à cette étape décisionnelle. Il faut passer par les préliminaires et les interrogatoires. En mode de dialogue, on s’organise de gré à gré en perspective d’une séance décisionnelle. Les intéressés sont les décideurs, conjointement, de leur propre sort. Il faut leur donner des outils : des informations authentiques, des expertises à point, de la jurisprudence pertinente, de la doctrine appropriée, des choix pratiques et praticables de résolution.

Pour les fins organisationnelles, afin d’arriver à la bonne combinaison des éléments, il faut dresser un portrait de la situation en noir et blanc pour bien voir la structure du différend et les conflits sous-jacents ayant donné lieu au différend. On trouve la réponse à de nombreuses questions. Qui sont les intéressés? Qui sont les procureurs? Qui sont les décideurs? Quelles sont les personnes à réunir? Qui sont les experts? Quelles sont les habiletés des intervenants? C’est quoi la matière? Les circonstances? Entre autres tâches, il faudra lire les documents, interviewer les personnes, écouter attentivement, étudier le choix du vocabulaire employé soit dans les écrits ou verbalement, expliquer les grandes lignes du processus, demander les commentaires des intervenants.

En théorie, les parties pourraient se prêter à ces exercices elles-mêmes. Cependant, rappelons-nous que  la communication est brisée quand les conflits se sont transformés en différends. Au lieu de traiter la problématique, souvent complexe et pleine de défis, les parties se livrent souvent à des assauts ad hominem, qualifiant l’autre de malhonnête, d’incompétente, de sourde, etc.

Pour s’engager dans un vrai dialogue structuré, les parties ont besoin de quelqu’un d’impartial. Même si c’est le devoir du procureur de l’une et l’autre partie de conserver de l’objectivité, ce n’est pas toujours faisable, surtout si les parties sont toujours en mode de débat.

C’est ici que je voudrais introduire la notion de « promoteur-réalisateur » et de « réalisation ». Ce concept s’inspire de John W. Burton dans Resolving Deep-rooted Conflict ISBN 0 -8191-6284-1, p. 8:

“The sponsor is the person or institution which initiates and arranges the facilitated conflict resolution process. Having initiated the process, it is the sponsor’s responsibility to ensure that all arrangements are made and carried  through to completion.”

« Le promoteur-réalisateur est la personne ou l’institution qui initie et arrange le processus facilité de résolution du différend. Ayant initié le processus, c’est la responsabilité du promoteur-réalisateur de s’assurer que tous les arrangements sont faits et menés à terme ». (traduction libre)

Voir aussi John W. Burton, “Conflict Resolution – Its Language and Processes” ISBN 0-8108-3265-8 et John W. Burton et Dennis J.D. Sandole, “Generic Theory : The Basis of Conflict Resolution”, Harvard Negotiation Journal, Vol. 2, No. 4, pp. 333 et seq.

Le premier défi du promoteur-réalisateur, c’est de ramener les parties à traiter de la problématique et d’installer chez elles le sentiment qu’elles sont capables de s’entendre.

Le promoteur-réalisateur en étroite collaboration avec les intéressés, généralement à la demande de l’un d’entre eux, entame la démarche de résolution du différend.

Il est fort probable qu’en partant les parties se retrouvent en mode de débat. Le débat a sa place et aussi ses limites. Pour résoudre les différends, il est souvent nécessaire de passer à autre chose que le débat, soit le dialogue, où on fait appel à de nombreuses connaissances. Il s’agit d’un véritable changement de culture, celui demandé par l’Assemblée nationale du Québec. Par conséquent, le promoteur-réalisateur, soit un juge, soit un praticien du domaine privé, au cours de la réalisation amène les parties à faire ce changement, en le faisant un pas à la fois, en établissant des règles du jeu, un programme de séances et de travaux, un échéancier et un chemin critique.

Or au début, les parties et les intéressés deviennent tous des promoteurs-réalisateurs et participent dans la réalisation, chacun y ajoutant son grain de sel et, de ce fait, appliquent les principes au cas en collaboration avec les autres, en brisant la glace en en faisant la démonstration qu’ils sont capables de s’entendre avec les autres. De cette façon, les promoteurs-réalisateurs, les parties et les intéressés acquièrent la copropriété indivise du processus, ce qui est la première règle du jeu, créant ainsi un intérêt dans la réussite du dialogue. Il faut mettre toutes les forces du même côté car la résolution des différends, surtout les différends découlant de conflits profonds, est difficile.

Les parties n’arrivent pas à la table par magie mais sur invitation suivie par des encouragements. La bonne nouvelle : une fois rendus à la table, ça roule. Dans le cas mentionné au 2e article , « Les choix », la réalisation a débuté au contentieux pour ensuite rejoindre la haute direction de l’entreprise qui se sentait lésée, pour ensuite rejoindre la haute direction des autres parties, aboutissant à des règles du jeu, un programme, un échéancier et un chemin critique. Le processus est souple et peut s’adapter en cours de route à de nouvelles circonstances, le tout dans le respect des principes de base, y compris le principe de la légalité.