Sources du fleuve de la connaissance

La résolution des différends puise à de nombreuses sources qui viennent former le fleuve de la connaissance et dont on se sert au bon moment, en temps utile, pour les fins d’un dossier particulier. Dans une étude de cas, Claude Beauregard, analyste en Affaires publiques, avait identifié seize sources :

La théorie des jeux

La théorie du chaos

L’histoire

La narration, la tradition orale

Commerce, négociation, transaction

La théorie et la pratique en éducation

Les muses et les arts

La diplomatie

La tradition autochtone

Le langage et la linguistique

La spiritualité et la religion

La médecine et la psychologie

La philosophie

La sociologie et l’étude des organisations

La loi, la jurisprudence et la théorie juridique

La gestion et l’administration

Il y en a plus. Le Groupe Interlex, groupe pluridisciplinaire, a identifié une soixantaine de sources, incluant celles mentionnées plus haut. Quand je dis qu’il y a probablement autant de sources que de branches de la connaissance, je fais une métaphore sortie de la nature, soit l’arbre et ses branches. La résolution des différends demande beaucoup de ressources et de recherches. Par exemple, qu’est-ce qu’on pourrait apprendre de la nature et comment? Le bio-mimétisme est une nouvelle discipline. Jusqu’à quel point l’être humain, un organisme, est-il libre de ses choix?

À titre d’avocat, j’ai pris l’habitude de mettre la loi, la jurisprudence et la théorie juridique au service de la résolution des différends. Souvent, les juristes dans un débat font appel à des experts et à leurs expertises pour établir des faits pour les fins du débat. Souvent, le contexte, soit le débat lui-même, crée des distorsions dans les expertises, car l’éthique en matières scientifiques est mise de côté. Le dialogue nous permet de restaurer cette éthique non seulement quant à la science mais aussi en droit afin d’arriver à une vraie appréciation de la loi, de la jurisprudence et de la théorie juridique.

Voici l’éthique proposée par Richard P. Feynman, lauréat du prix Nobel de physique, dans « Vous voulez rire, Monsieur Feynman! » :

« L’un des principes fondamentaux de la recherche scientifique est le suivant : ne pas se raconter d’histoires, ne pas s’abuser soi-même, étant entendu qu’on est soimême la personne qu’il est le plus facile d’abuser. Dès lors qu’on applique cette règle, dès lors qu’on arrive à ne pas se raconter d’histoires à soi-même, ne pas en raconter aux autres ne présente plus aucune espèce de difficulté: il suffit simplement d’être honnête, au sens habituel du terme.

« Je voudrais ajouter ici quelque chose qui, sans être essentiel du point de vue scientifique, me semble néanmoins important. Un chercheur ne doit jamais, quand il s’adresse en tant que scientifique à un public non spécialisé, raconter d’histoires. Je ne veux pas dire que vous ne devez pas, dans les circonstances où vous intervenez en tant qu’être humain simplement – dans vos rapports avec votre femme ou avec votre petite amie, par exemple – ne pas raconter d’histoires. Ça, c’est une affaire qui doit se régler entre vous et votre conscience. Non, ce dont je veux parler, c’est d’une attitude d’honnêteté intellectuelle dont vous ne devez vous départir ni dans vos conversations avec d’autres chercheurs ni dans vos rapports avec le grand public; une attitude qui consiste à rechercher sans complaisance tout ce qui pourrait faire que vous ayez tort.

« Je vais prendre un exemple. L’autre jour, je parlais avec un ami astronome et cosmologue, qui devait passer à la radio; il se demandait comment parler des applications de la cosmologie.

« Mais, lui aije dit, un peu surpris, la cosmologie n’a pas d’applications.

– Je sais, m’a-t-il répondu, mais le seul moyen d’obtenir des crédits, c’est de faire valoir les applications possibles. »

Moi, je trouve ça malhonnête. Vous vous présentez au public en tant que scientifique et vous racontez ce que vous faites. Maintenant, si le public n’est pas prêt à payer pour ce que vous faites, c’est son affaire; mais il a le droit de décider en toute connaissance de cause.

« Autre exemple : vous voulez vérifier telle ou telle théorie, ou bien faire passer telle ou telle idée. Un principe général dans ces cas-là est qu’il faut tout publier, tout, absolument tout, comme ça se présente. En effet, il est toujours possible, en ne publiant que des résultats sélectionnés, de faire passer pour vrai n’importe quel raisonnement. Il faut donc publier absolument tout. »

J’ai l’intention d’amener un certain nombre de ces sources à la table du dialogue au cours des prochains articles, toujours dans un contexte d’actualité. Par exemple, nous travaillerons ensemble, le Premier ministre du Québec a-t-il promis, dans une nouvelle culture de collaboration, une source de la résolution des différends. « Travaillons ensemble » était le slogan du Nouveau Parti démocratique lors du dernier scrutin. La collaboration est à la base de l’économie. La collaboration se produit dans la nature, y compris chez l’être humain. Mais c’est quoi au juste, la collaboration?

La multiplicité des sources pose un certain nombre de défis. Les cours de l’instruction publique sont organisés tant au niveau secondaire qu’au niveau universitaire en fonction d’une étanchéité de disciplines sans penser à la pluridisciplinarité.  Au niveau des professions, certaines disciplines sont réservées en exclusivité à certains ordres professionnels. Toutefois, l’individu, parfois la collectivité, est obligé par la force des choses à faire l’intégration des disciplines lors de la prise de décision.

Donc, c’est possible, la pluridisciplinarité; le cerveau humain qui dirige l’organisme humain en est capable, il fait des choix intégrant diverses disciplines bien souvent. En mode de débat, l’étanchéité est conservée. En mode de dialogue, les cloisons tombent à  la recherche de la sagesse dans le grand fleuve de la connaissance. Un des plus beaux défis en pluridisciplinarité, c’est l’intégration de la science et la tradition autochtone, par exemple le dialogue à l’heure actuelle entre les Inuits et les scientifiques dans le grand Nord.

Amenons des sources à la table pour ouvrir la voie aux nombreuses possibilités de solutions aux différends. Ces sources, la multiplicité des sources, font en sorte que nous avons à notre disposition des forces très puissantes et sûres contre toute intempérie, à l’image du Pont de l’Europe entre la France et l’Allemagne, l’objet du poème du lauréat Nobel, l’irlandais Seamus Heaney dans la collection « Écrire les Frontières. Le Pont de l’Europe » ISBN 92-871-3884-2.

« Tenace dans l’effort et fort sous la tension,

Un pied sur chaque bord sans être d’aucun camp,

Le pont tient bon sans discussion.

Rien ne peut détourner son attention.

Mouvant ou treillagé, penché en suspension,

Un pied sur chaque bord sans être d’aucun camp,

Tenace dans l’effort et fort sous la tension. »