Le renvoi sur les valeurs mobilières – continuité juridique ou bouleversement de la fédération?

Le 22 décembre 2011, la Cour suprême du Canada rendait son opinion sur le renvoi du gouvernement fédéral portant sur la constitutionnalité d’une éventuelle loi pan-canadienne sur les valeurs mobilières. Plusieurs provinces, dont le Québec et l’Alberta, on contesté le projet fédéral, d’où la démarche du gouvernement fédéral de demander l’opinion de la Cour suprême.

Dans son opinion, la Cour suprême a déclaré que la Loi sur les valeurs mobilières proposée par le gouvernement du Canada était inconstitutionnelle et ne relevait pas de la compétence législative fédérale. Le projet de loi fédéral constituait en grande partie un dédoublement des régimes législatifs provinciaux existants, notamment en Ontario. Le projet de loi fédéral s’attaquait à l’ensemble des aspects liés aux valeurs mobilières, incluant la création d’un organisme canadien unique de réglementation et l’imposition d’obligations précises aux acteurs du marché des valeurs mobilières pouvant être sanctionnées par des recours civils ainsi que par des infractions réglementaires et criminelles. L’objectif fédéral était de favoriser l’existence de marchés des capitaux équitables, efficaces et compétitifs et d’assurer la stabilité et à l’intégrité du système financier canadien.

La Cour a confirmé que les provinces avaient le pouvoir de réglementer les valeurs mobilières et leurs acteurs à l’intérieur de leurs frontières en vertu de leur compétence en matière de propriété et de droits civils et que cette compétence s’étendait à l’incidence du commerce des valeurs mobilières sur les intermédiaires du marché et sur les investisseurs situés à l’extérieur d’une province. Par ailleurs, la Cour a également confirmé que le Parlement fédéral avait certains pouvoirs lui permettant d’adopter des lois touchant des aspects de la réglementation des valeurs mobilières dans le but de promouvoir l’intégrité et la stabilité du système financier, notamment en matière de droit criminel, de banques et de faillite. Ce que le gouvernement fédéral réclamait cependant ici est une compétence beaucoup plus étendue sur tous les aspects liés aux valeurs mobilières en vertu du pouvoir fédéral en matière de trafic et de commerce (“trade and commerce”).

L’opinion de la Cour n’est pas surprenante au plan juridique et s’inscrit dans une longue lignée de décisions en matière de partage des compétences. Essentiellement, en vertu du pouvoir fédéral en matière de trafic et de commerce, le Parlement du Canada a compétence sur la réglementation générale des échanges commerciaux s’appliquant au Canada dans son ensemble. Dans des affaires précédentes, la Cour suprême avait précisé que cette compétence ne devait pas faire double emploi avec les compétences provinciales et était limitée aux questions affectant horizontalement tous les secteurs d’activité économique à l’échelle pan-canadienne et non pas une industrie ou un secteur particulier. Historiquement, les législation fédérales en matière d’inflation, de concurrence et de marques de commerce ont été adoptées en vertu de cette compétence.

Dans le renvoi sur les valeurs mobilières, la Cour suprême a reconnu que certains aspects du commerce des valeurs mobilières étaient d’intérêt national, en particulier la prévention des risques systémiques ou de la défaillance du système financier en général et la collecte de données à l’échelle nationale pour cette fin. Cependant, la Cour a jugé que les intérêts fédéraux ne supplantaient pas les considérations en grande partie provinciales en matière de règlementation des valeurs mobilières, compte tenu notamment que les participants au secteur des valeurs mobilières exercent une occupation ou une profession au niveau provincial. En somme, tel que l’a indiqué la Cour, « la Loi dans son ensemble excède la portée réelle du volet général de la compétence en matière de trafic et de commerce pour se préoccuper finalement de la réglementation d’un secteur en particulier. »

L’opinion comporte certains autres éléments importants qui risquent d’avoir des impacts en ce qui concerne des prétentions centralisatrices fédérales futures. La transformation d’une secteur ou d’un domaine d’activité économique ne permet pas nécessairement au Parlement fédéral de s’arroger de nouvelles compétences. La prétention qu’un domaine d’activité économique a évolué au point qu’il doive dorénavant être réglementé au niveau fédéral doit être démontrée et appuyée par des éléments de preuve concrets. Par ailleurs, au plan constitutionnel, la question n’est pas de savoir si une législation fédérale serait plus efficace, optimale ou si le fédéral serait mieux placé pour légiférer en la matière. Tel que l’a indiqué la Cour, l’analyse des pouvoirs constitutionnels ne porte pas sur l’opportunité politique, mais sur la compétence législative.

Les impacts plus larges de cette opinion restent à être déterminés. En ce qui concerne les valeurs mobilières, la Cour suprême a invité les gouvernements à un exercice de fédéralisme coopératif dans le but de garantir que chaque ordre de gouvernement puisse s’acquitter adéquatement de ses responsabilités envers le public de façon coordonnée.

Bien que cette opinion ne soit pas surprenante au plan du droit, sur le plan politique, certains pourraient y voir un signal clair d’affirmation du respect des juridictions provinciales. Il sera intéressant de voir si l’opinion pourra avoir des impacts en ce qui concerne notamment le financement actuel ou éventuel des soins de santé, des programmes d’infrastructures municipales, de services de garde ou sur la législation fédérale en matière de protection des renseignements personnels dans le secteur privé.