La décision Amazon.com : quel impact pour les brevets en sciences de la vie ?

Cet article a été écrit par Lee Alan Johnson et Naïm-Alexandre Antaki.

Tel que discuté dans l’article de Benoit Yelle du 5 janvier 2012, la décision récente de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Attorney General) v. Amazon.com, Inc. Amazon.com ») est une excellente nouvelle pour ceux et celles qui veulent protéger leurs inventions dans le secteur des hautes technologies par voie de brevet. Notamment, la décision ouvre la porte à la brevetabilité des « pratiques commerciales » (les « business methods » en anglais), comme par exemple la technologie « one?click » d’Amazon, qui avait précédemment été considérée comme un objet non brevetable au Canada. L’impact de cette décision, cependant, pourrait être ressenti bien au-delà du secteur des hautes technologies.

Les catégories d’invention qui ont longtemps été considérées non brevetables au Canada comprennent non seulement les « pratiques commerciales », mais aussi des inventions en sciences de la vie telles que les « formes de vie supérieures » et les « méthodes de traitement médical ». Ces deux dernières demeurent non brevetables, mais la décision Amazon.com pourrait avoir redéfini les frontières de ces catégories.

La pratique récente du Bureau des brevets était d’examiner une revendication de brevet donnée par rapport à ce qui est déjà connu (« l’antériorité » ou « l’état de la technique », qu’on appelle le « prior art » en anglais) et de déterminer ce qui était inventif dans la revendication. Si le Bureau considérait que le « concept inventif » faisait partie d’une catégorie non brevetable, telle qu’une « méthode de traitement médical », alors la revendication était rejetée. Ainsi, une revendication qui aurait été considérée comme un objet brevetable, mis à part pour l’antériorité, était considérée non brevetable à cause de cette antériorité (ne vous en faites pas, on vous donne un exemple plus bas pour tenter de démystifier cette phrase). Cette analyse de « concept inventif » a été résumée dans un avis de pratique 2011 publié par le Bureau des brevets.

Le « concept inventif » pour déterminer ce qui est brevetable peut être illustré par l’exemple suivant.

Revendication 1 : utilisation du composé X pour le traitement de la maladie Y.

Revendication 2 : utilisation du composé X pour le traitement de la maladie Y, lorsque l’usage est par voie intraveineuse.

Antériorité : l’administration par voie orale du composé X pour traiter la maladie Y est déjà connue.

D’un point de vue de forme, ni la revendication 1 ni la revendication 2 ne vise une méthode de traitement médical : les revendications « d’usage » de ce type sont généralement considérées valides au Canada. Ainsi, en l’absence d’antériorité, les deux seraient des types de revendications valides. Cependant, étant donné l’antériorité, la revendication numéro 1 ne serait pas brevetable, car elle est anticipée par « l’antériorité ». Puisque l’objet de la revendication 1 est déjà connu, il n’y a pas d’invention et rien n’est donc brevetable dans la revendication 1.

Cependant, la revendication 2 pourrait tout de même être inventive par rapport à l’antériorité, puisque l’usage par voie intraveineuse pourrait être surprenant et nouveau (rappelez vous que ce qui était connu dans la pratique était l’administration par voie orale seulement). Malgré cela, selon l’approche du « concept inventif », la revendication numéro 2 pourrait avoir été rejetée comme une « méthode de traitement médical », car le « concept inventif » (ce qui est nouveau) dans la revendication numéro 2 est le mode d’administration du composé, et certains modes d’administration sont considérés comme étant des méthodes de traitement médical. Selon cette approche du « concept inventif », une revendication qui aurait autrement été considérée valide, et visant un objet brevetable, est transformée en une « méthode de traitement médical » étant donné l’antériorité.

Une des conclusions de la Cour d’appel fédérale dans Amazon.com est qu’il n’est pas correct, en droit, de déterminer l’objet d’une revendication uniquement sur la base du « concept inventif », tel que l’avait fait le commissaire des brevets lorsqu’il avait initialement rejeté la demande de brevet numéro 2 246 933 d’Amazon. Dans cette optique, on pourrait croire que la Cour d’appel a adopté une approche similaire à celle qui a été résumée dans le passage suivant de la Cour d’appel fédérale américaine dans la décision In re Bilski :

« [traduction] Après tout, même si un principe fondamental n’est pas en soi brevetable, un procédé ayant recours à un principe fondamental peut l’être. Par conséquent, il importe peu qu’une étape ou une restriction d’un tel procédé en soi ne soit pas brevetable (…). »

Suite à Amazon.com, il semblerait qu’une grande partie de l’avis de pratique 2011 mentionné plus haut ne sera pas appliquée aux demandes de brevet canadiennes dans le futur. De plus, une revendication telle que la revendication 2 dans l’exemple ci-haut, qui était auparavant considérée non brevetable, pourrait vraisemblablement être considérée valide, en autant qu’elle soit utile, nouvelle et non évidente selon l’antériorité.

Le rejet de l’approche du « concept inventif » pourrait avoir pour effet de rendre brevetable  plusieurs inventions qui étaient auparavant considérées non brevetables au Canada. Dans le secteur de la recherche en sciences de la vie qui est en constante évolution, des inventions importantes pourraient ne pas inclure la découverte de molécules complètement nouvelles, mais plutôt de nouveaux usages ou de nouveaux modes ou administrations de molécules déjà connues. En plus de son impact évident dans le secteur des hautes technologies, la décision de la Cour d’appel fédérale pourrait avoir grandement élargi les possibilités de protection par voie de brevet de ce type d’inventions en sciences de la vie.