Prêts participatifs et faillite : le doute subsiste-t-il?

Par Julien Beaulieu, avec la participation de Me Roger P. Simard

Le 10 novembre 2011, la Cour suprême du Canada s’est-elle prononcée sur le rang des prêts participatifs dans l’ordre de collocation de faillite (plan de répartition) , en ne se prononçant pas? En effet, le plus haut tribunal au pays a refusé l’autorisation de se pourvoir contre la décision Stonehaven Country Club Centre de villégiature & spa, l.p. (Syndic de), 2011 QCCA 718 de la Cour d’appel du Québec. La Cour suprême lui donne-t-elle, plus ou moins, sa bénédiction?

Dans cette affaire, la Cour d’appel devait déterminer la position d’un prêteur participatif dans le cadre d’une faillite, alors que ce prêteur détenait une hypothèque publiée. Il faut le rappeler, ce type de prêt est assorti d’une obligation de payer une certaine redevance en fonction des profits de la compagnie débitrice, soit au lieu des intérêts, soit en plus des intérêts. Bien que cette forme de compensation pour le risque financier soit parfaitement louable, l’article 139 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (« LFI ») , par lequel le prêteur le rétrograde  à la fin de l’ordre de collocation, avec les actionnaires et derrière les créanciers chirographaires. Les appelants s’étaient pourvus devant les tribunaux pour faire reconnaitre le rapprochement entre ces prêts participatifs et la position de bailleur de fonds (« silent partner »). En d’autres termes, les appelants voulaient que le prêteur soit colloqué non pas en fonction du rang de son hypothèque, mais plutôt en application de l’article 139 LFI.

Investissement Québec (« IQ ») avait fait un prêt participatif à hauteur de 2,5 millions de dollars à la société en commandite Stonehaven avec un taux d’intérêt fixe et une prime basée sur les profits ( si profits il y avait), le tout garanti par hypothèque. Suite à l’incapacité de cette dernière de remplir ses obligations envers ses créanciers, la faillite est survenue. C’est à ce moment que le délicat problème du rang d’un prêteur participatif dans l’ordre de collocation entre en jeu.

Devant la Cour supérieure, IQ plaide qu’un prêt participatif n’équivaut pas à une participation dans les profits de l’entreprise. Au contraire, une prime basée sur un pourcentage des profits ne saurait faire d’IQ un partenaire passif. Ainsi, seule son hypothèque de premier rang est pertinente dans la détermination de son rang dans l’ordre de collocation.

De leur côté, les autres créanciers au litige soutiennent plutôt que cette prime basée sur les profits fait d’IQ un associé passif, le reléguant ainsi derrière l’ensemble des créanciers dans le cadre de la faillite. Selon ces derniers, le rang conféré par la LFI dans le cadre d’une faillite supplante le rang conféré par une hypothèque de droit civil.

L’honorable juge Jean-Yves Lalonde de la Cour supérieure rejette la prétention de ces derniers. L’article 139 LFI qui n’aurait pas permis à IQ de percevoir son dû avant que l’ensemble de la masse des créanciers n’ait été payée ne saurait trouver application. Considérant que la publicité liée à l’hypothèque d’IQ va à l’encontre de l’essence même de la qualification de « silent partner » et puisque le calcul du taux d’intérêt n’est qu’accessoire au contrat de prêt garanti par hypothèque, le contrat de prêt participatif ne peut recevoir le traitement accordé aux associés passifs. Ainsi, se sentant lié par ce raisonnement de la Cour suprême dans l’arrêt Sukloff, la Cour supérieure confirme le statut d’IQ en tant que créancier garanti pour la partie de la dette garantie par hypothèque. Toujours dans un désir d’appliquer le raisonnement de l’arrêt Sukloff, le tribunal en vient à la conclusion que seule  la partie de la dette liée aux profits de la débitrice sera, assujettie aux préceptes de l’article 139 LFI. En d’autres mots, une partie de la dette est protégée et colloquée en fonction du rang de l’hypothèque alors qu’une autre partie sera reléguée au dernier rang de l’ordre de collocation.

La Cour d’appel a confirmé cette décision en grande partie. Réétudiant en profondeur l’arrêt Sukloff, la Cour d’appel en vient aux mêmes conclusions que le juge de première instance sur le fond et n’a aucune réserve à l’appliquer en droit québécois. Un prêt participatif garanti par hypothèque doit être colloqué en fonction de son rang hypothécaire. Ceci étant dit, répondant à une question théorique ( étant donné l’absence de profits), la Cour d’appel conclut que le juge de première instance ne pouvait s’inspirer de la décision Sukloff afin de scinder la créance en deux et y appliquer des traitements différents dépendamment du lien, ou non, avec les profits.

Avec le refus de la Cour suprême d’entendre l’appel, on peut conclure à la fin du débat liant les prêts participatifs garantis au régime de l’article 139 de la LFI. En faits, l’omission de la Cour d’appel de conclure en la possibilité de scinder la créance (celle-ci préférant se limiter à dire que l’on ne peut s’inspirer de l’arrêt Sukloff pour ce faire, sans pour autant le proscrire pour le futur), laisse ouverte  une question de droit bien théorique, car peu d’entreprises font à la fois des profits et faillite!

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